En Guyane, la biodiversité contre une "montagne d'or"

PROJET MINIER EN GUYANE
En Guyane, la biodiversité contre une "montagne d'or" sur Qu'est-ce qu'on fait
"Montagne d'or", un nom riche en promesses pour une mine. C'est celui choisi par le projet minier de Guyane française le plus débattu depuis un an, et qui pose cet éternel dilemme entre protection de l'environnement et développement économique du territoire. Avant que le gouvernement ne rende son avis sur son lancement à l'automne, profitons de l'été indien pour une escale en Amazonie française afin de comprendre ce qui joue maintenant.

La Guyane serait-elle assise sur un tas d'or ? 

Jusqu'à aujourd'hui, la filière minière guyanaise de l'or était portée par une quarantaine de TPE et PME pour une production d'environ 2 à 3 tonnes par an. Une broutille par rapport aux géants du secteurs que sont la Chine ou l'Australie avec leurs 462 et 272 tonnes produites respectivement en 2015. Sauf que depuis quelques années, la Guyane fait office de nouvel Eldorado. En 2014, Jean-François Fourt, président du conseil d'administration d'Auplata, la société exploitant alors 2 des principales mines de Guyane, la déclarait "la plus grande réserve d'or du monde" ! De quoi susciter l'intérêt. 

Les promoteurs de Montagne d'Or l'ont bien compris ; il faut voir les choses en grand et passer à l'échelle industrielle pour tirer profit des richesses du sol guyanais. 800 hectares : c'est la superficie du site minier dont la production est estimée à 80 tonnes d'or pour les 12 ans que durerait son exploitation. Portée par deux multinationales, la canadienne Columbus Gold pour l'exploration et la russe Nordgold pour l'extraction, Montagne d'or deviendrait ainsi, en 2022, le plus vaste site industriel aurifère à ciel ouvert de Guyane. S'il cristallise les tensions, c'est aussi qu'il sera décisif pour l'organisation de la filière. Exit l'activité minière à petite échelle, bonjour les maxi chantiers. 

Philippe Thibault © WWF Guyane

Une fièvre jaune qui ne passe pas

A la télévision, dans les années 80, Esteban, Zia et Tao couraient vers le soleil en espérant découvrir Les mystérieuses cités d'or. Aujourd'hui, les chercheurs d'or, qu'ils soient d'importants consortiums internationaux ou des illégaux en quête de fortune, parcourent l'Amazonie en quête de gisements. Rien de neuf sous le ciel de Guyane qui depuis 150 ans, voit défiler les orpailleurs, mais depuis quelques années, le phénomène s'accroît. La raison ? Une demande en or de plus en plus forte (+32% en 10 ans sur la période de 2005-2015) et des rumeurs de pénuries qui enflent. Au rythme d'exploitation actuel, nous pourrions avoir épuisé les 42 000 tonnes de réserves terrestres connues en 16 ans. D'un coup, on comprend mieux les dents en or de tonton Jeannot.

Nous pourrions avoir épuisé les 42 000 tonnes de réserves terrestres connues en 16 ans.

C'est que l'or n'est pas dénué de charmes. Valeur refuge, métal aux propriétés uniques pour les nouvelles technologies de la télécommunication à la médecine, il reste un placement sûr et attise les convoitises. C'est le cas en Guyane où l'activité aurifère s'est intensifiée du fait d'exploitations illégales qui trainent dans leurs sillages les maux liés aux affaires mafieuses : violences et misères. Selon le procureur de Cayenne, le nombre de sites illégaux aurait doublé sur l'année 2017 atteignant ainsi le triste record de 609 pour une production avoisinant les 10 tonnes par an - la Guyane, le nouveau Far-West. 

Montagne d'Or, une mine "responsable" ? 

Ça se saurait : on trouve rarement de belles pépites rondes, là, posées sur le sol. Souvent elles sont le résultat de l'amalgame de paillettes voire de poussières d'or et pour cela, le recours à la chimie s'avère utile. Dans les exploitations illégales de Guyane, c'est le mercure qui est privilégié. Celles-ci peu portées sur le traitement des déchets, il finit le plus souvent sa course dans la nature où il contamine, depuis les eaux, l'ensemble de la chaîne alimentaire. Sa toxicité est telle qu'il a été interdit dans les exploitations légales dès 2006. En Guyane, lutter contre l'orpaillage illégal et développer des méthodes industrielles alternatives est donc aussi, une affaire de santé publique. 

C'est là que le bât blesse, car les promoteurs de Montagne d'Or, s'ils s'engagent à respecter la législation concernant le mercure, envisagent le recours à l'autre méthode la plus en vue de l'industrie : la cyanuration. Dans son dossier de présentation du maître d'ouvrage, le projet s'affiche comme "responsable". Plusieurs raisons sont évoquées pour justifier l'emploi du terme. Premièrement, l'usage du cyanure sera réalisé en circuit fermé, c'est-à-dire qu'il "sera détruit avant l'entreposage des résidus, pour éviter un impact sur la santé des personnes et sur l'environnement […]". L'autre argument phare est que le site sera réhabilité après sa fermeture.

Un or qui n'est pas vert

Pourtant, ces engagements peinent à rassurer. C'est que les 800 hectares de mine prévus sont localisés entre deux réserves biologiques intégrales, soit des espaces protégés et gérés par l'Organisme National des Forets en raison de leur statut de conservatoire et d'observatoire de la biodiversité. Selon WWF France, les garanties fournies pour la préservation de l'environnement ne sont pas suffisantes. Outre la destruction d'une zone de 1513 hectares de forêts dont 575 de forêt primaire abritant 2000 espèces dont 127 protégées il faudrait composer avec "d'autres enjeux majeurs concernant le transport, le stockage et l'utilisation de produits chimiques dangereux (cyanure, explosifs), le stockage de quantités considérables de roches au potentiel de drainage acide avéré, le risque de glissement de terrain, la gestion des eaux dans une zone à très forte pluviométrie…" Sympa, non ?

Selon un sondage IFOP, 69% des Guyanais restent opposés au projet.

Le lancement de ce super projet faisant l'objet d'une controverse, le gouvernement a lancé le 7 mars dernier un débat public au cours duquel les industriels ont répondu aux questions des citoyens. Achevés en juillet, il doit donner naissance à un rapport qui permettra au gouvernent de trancher. Pour WWF, le sujet n'est pas clos, car selon un de leurs sondages réalisé par IFOP à la veille de la clôture du débat, les Guyanais y restent opposés à 69%. Peu convaincus par les réponses en matière d'environnement, ils affichent également une moue sceptique quant au possible développement économique du territoire.

Adriano Gambarini © WWF Brazil

Le mirage économique ?

Le rapport du maître d'ouvrage prévoit que le projet générera 750 emplois directs pendant les 12 ans d'exploitations du site et près de 3000 emplois indirects et induits. Une bien belle promesse pour une région (l'ouest guyanais) qui connaît un taux de chômage 5 fois supérieur à celui de la France métropolitaine, mais un véritable "mirage économique" pour WWF. Dans son rapport du même nom paru en septembre 2017, l'association dénonce la faible résilience du projet et appelle les pouvoirs publics à privilégier des filières économiques plus durables, dans tous les sens du terme.

"La filière du tourisme permettrait de créer six fois plus d'emplois directs que le projet Montagne d'or !"

Une étude d'Atout France et de la Région Guyane parue en 2017 affirme que pour un investissement de 107 millions d'euros, la Région pourrait dynamiser la filière et créer jusqu'à 9000 emplois directs et indirects. Presque une bagatelle face aux investissements publics, subventions et mécanismes d'incitation fiscales prévus pour Montagne d'Or qui s'élèverait à 420 millions d'euros. La bonne nouvelle ? "À elle seule, la filière du tourisme permettrait de créer six fois plus d'emplois directs que le projet Montagne d'or avec quatre fois moins de subventions publiques !" selon Pascal Canfin, directeur général du WWF France et le WWF France a identifié six autres filières qui pourraient aboutir à la création de 18 000 à 20 000 emplois au total sur dix ans (pêche, bois, énergie renouvelable, …) !

Sur la question du lancement du projet, c'est le gouvernement qui aura le dernier mot. Si Emmanuel Macron est enthousiasmé par le projet, Nicolas Hulot avait, de son côté, émis des réserves. Qu'en sera-t-il de son successeur ?

  • Pas encore au clair sur le sujet ? On se plonge dans la lecture des documents portant sur le projet. La page du débat public organisé cette année regroupe tous les documents et études publiés à propos du projet. De quoi devenir un expert de la question ! On y trouve les documents rédigés par la Compagnie Minière d'Or  puisqu'on y trouve aussi les rapports du WWF France. France Nature Environnement a également suivi attentivement le projet et publié de nombreux avis à consulter ici.  
  • Pas du tout convaincu par le projet ? On interpelle directement le gouvernement en signant la pétition #StopMontagnedOr d'ici le rendu de la décision.
  • Plutôt convaincu par le projet ? On s'abonne à la newsletter Montagne d'Or pour suivre le déroulement du projet.
  • Envie d'en savoir plus sur l'activité aurifère de Guyane ? On voyage jusqu'en Guyane sans bouger de son canapé grâce à l'excellente série Guyane diffusée sur Canal + et dont la saison 2 est prévue pour le mois de septembre 2018. Après l'immersion dans l'activité illégale de la Guyane, les scénaristes nous proposent cette fois-ci d'aborder les questions environnementales liées à l'orpaillage !
  • Soucieux au sujet de l'activité aurifère dans son ensemble ? En tant que particulier, on retrouve l'or principalement dans nos bijoux et nos appareils électroniques. Pas facile dès lors de savoir d'où il provient. 
  • Pour les bijoux, on a le choix  : On privilégie dès que possible l'or fair trade, identifiable grâce à des labels tels que Or Fair Trade développé par Max Havelaar. Lassé par de vieux bijoux ? On peut les recycler et les faire fondre pour créer LA pièce de nos rêves.
  • Pour les téléphones et autres appareils électroniques courants, c'est un peu plus complexe, car peu de marques prennent aujourd'hui des engagements concernant la provenance de l'or utilisé. On peut néanmoins se tourner vers Fairphone qui liste l'ensemble de ses fournisseurs afin d'améliorer la traçabilité des matières premières notamment.
  • Yannick Jadot, Qu'est-ce qu'on fait pour lutter contre le projet ? Dans cette interview, le député européen écologiste nous livre ses recommandations.

Image à la une : Roger Leguen © WWF

Mathilde Frézouls
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