À Bayonne, Alternatiba bouillonne. Et après ?
À la veille de la publication du rapport 1,5°c du GIEC, le Village Alternatiba de Bayonne insufflait une dynamique populaire, de fêtes et d'initiatives citoyennes pour lutter contre le réchauffement climatique. La joie primait, le public accueillit l’arrivée des vélos, tandems, triplettes (vélo pour 3 personnes) et quadruplettes (pour 4) venus de Biarritz par une pluie d’applaudissements, et réserva le même emballement aux musiciens venus clôturer le weekend, malgré les averses torrentielles. Faire du bruit, réflechir et être ensemble pour penser l'avenir, mais, peut-être aussi, pour ne pas se laisser gagner par le frisson d’angoisse souvent palpable lors des conférences scientifiques. Il va falloir faire vite.
Txetx Etcheverry, quels sont vos ressentis après ces deux jours intenses ?
Le village d’Alternatiba, c’était 50 conférences sur deux jours. Et ces conférences étaient remplies, on a même dû refuser quelques entrées alors que les sujets abordés étaient parfois très techniques : comment financer la transition énergétique, la rénovation des bâtiments ou la mobilité de demain… 1 150 bénévoles ont été présents pour organiser tout cet évènement qui a demandé beaucoup de travail et d’investissement. Il y a eu en permanence des chamboulements, le meeting s’est fait dans des conditions météorologiques pénibles avec beaucoup de vent et de pluie. Nous avons dû inventer des structures pour protéger les stands et improviser un convoi jusqu’à la plage pour remplir de sable des cabas afin de les faire tenir en place. C’est dommage pour les exposants, mais nous en tous cas, on est conscients d’avoir traversé une épreuve ensemble, et d'avoir fait preuve d'imagination pour maintenir la tenue de l'évènement. On a vu qu’on arrivait à trouver des solutions même dans l'épreuve, alors on s’est dit : "On est prêts !". C’est avec ce moral là qu’on a fini et c’est encourageant.
"Des personnes sont aujourd’hui prêtes à soulever des montagnes."
Maxime Combes (économiste et militant Attac France) a commencé sa conférence en affirmant à propos de la perception du discours sur le climat : "Le sérieux a changé de camp". Que pensez-vous de cela ?
Je suis complètement d’accord avec Maxime. On voit bien depuis cet été que les gens se disent "Ouah... Il y vraiment quelque chose de grave et d’urgent". Ca fait 10 ans avec Bizi !, 5 ans avec Alternatiba, que l’on dit qu’il faut changer le système pour ne pas avoir à changer le climat. Évidemment jusqu’à présent, c’était vécu comme une idée impossible et purement militante. Aujourd’hui on s’aperçoit que mettre en place des changements massifs et rapides est le seul scénario pragmatique et réaliste. Quand Nicolas Hulot explique son départ du gouvernement en disant que des petits pas ont été faits mais qu’ils ne suffisent pas agir sur l’état avancé de la catastrophe, que le GIEC dans son rapport rendu public lundi dit la même chose, il est évident que le camp du sérieux, du réaliste et du pragmatique impose de faire ces changements tout de suite. Ceux qui renoncent à une véritable volonté politique, qui aménagent les choses petit à petit, nous mènent droit à la catastrophe. Les enfants d’aujourd’hui, de la crèche au collège sont amenés à connaître, quand ils seront adultes, un monde aujourd'hui inconnu que le changement climatique aura rendu hostile à la vie.
C’est pour ça qu'autant de gens rejoignent des causes comme Alternatiba en ce moment. Une génération, de 16 ans à 35 ans, a la perception qu’elle est peut-être la dernière génération à connaître le monde actuel, et qu’elle a entre les mains une responsabilité : en fonction des batailles qu’elle va gagner ou pas, cela créera un autre monde, très compliqué pour la vie, dont la vie humaine. Ce sentiment de responsabilité conditionne beaucoup de comportements. C’est pour ça que des gens aujourd’hui - enfin certains de cette génération là - sont prêts à soulever des montagnes.
"Le combat de l’opinion publique est encore à mener."
Vous précisez "certains" : la majorité des citoyens reste-t-elle à sensibiliser ?
Oui, je pense que pour l’instant le combat de l’opinion publique est encore à mener. Il n’est pas gagné du tout. Il y a eu un petit sursaut le 8 septembre, mais je pense qu'il suffit de quelques personnes mobilisées et qui arrivent à se faire entendre pour changer l’opinion publique. Je crois que ce qu’il y a de nouveau - ne serait-ce que par rapport à il y a 5 ans - c’est que la question du changement climatique s'est diffusée à travers beaucoup de formations, d’organisations et d’ONGs. Auparavant, il y avait des ONGs environnementales qui ne s’occupaient que d’environnement et de biodiversité et qui aujourd’hui ont pris à bras le corps les questions du climat. Il y a des partis politiques, comme Générations ou la France Insoumise, qui ont complètement pris la mesure de l’enjeu central du changement climatique. Il y a des mouvements comme les Amis de la Terre, 350… qui sont à fond sur ces questions. Donc je crois qu’on rentre dans une nouvelle période et qu’ il va y avoir des batailles d’une toute autre ampleur.
Les politiques nationales et internationales sont-elle malgré tout à la traîne ?
Les décideurs nationaux et internationaux ne sont pas du tout à la hauteur - même s’i y a des gens qui se battent comme Nicolas Hulot ou Laurence Tubiana. Ils sont en train d’avoir une attitude complètement suicidaire. Si on regarde lucidement les engagements pris durant la COP21 par les Etats du monde entier pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ils nous amènent à une hausse de la température comprise entre 3 et 4 degrés, même s’ils étaient respectés à 100%, et on sait très bien qu’ils ne le seront pas ! Les dirigeants entraînent notre monde vers une catastrophe irréversible.
Heureusement, et c’est un motif d’espoir, beaucoup de citoyens, de maires, d'élus locaux et régionaux ont saisi l'importance de l’enjeu et ont entrepris des politiques de reconversion et de transition. Chez Alternatiba, nous appelons à ne pas attendre que les dirigeants nationaux et internationaux soient au rendez-vous (parce qu’ils ne le sont pas depuis 30 ans) et à entamer le changement à partir des territoires dès maintenant. Sans non plus tout faire reposer sur les politiques locales, si on entame vraiment le changement à partir de 5, 10, 100, 1 000 territoires, on va créer un effet d’entraînement et on va enfin pouvoir avoir une influence sur les décideurs. En plus de ça, tous les exemples montrés à Alternatiba - et notamment les témoignages de maires et de présidents, vice-présidents de communautés d’agglomérations (Grande-Synthe, Grenoble, Loos-enGohelle…) montrent que ces politiques de transition écologique et énergétique créent beaucoup d’emplois, bénéficient en priorité aux plus pauvres et aux plus vulnérables, sont excellents par rapport à la santé publique (diminution des maladies pulmonaires, de l’asthme), permettent une meilleure alimentation, et une meilleure qualité de vie. Je crois que bien organisés et déterminés, on peut faire beaucoup avancer cette cause là dans les mois et les années qui viennent.