Le tourisme : le boom économique dont tous les pays rêvent ?

ECONOMIE & TOURISME
Le tourisme : le boom économique dont tous les pays rêvent ? sur Qu'est-ce qu'on fait
Les chiffres sont vertigineux : 1,4 milliards de touristes, 1 700 milliards de dollars d’exportation générés en 2019, un secteur qui représente 10% du PIB mondial et dont dépend 1 emploi sur 10. Cela a de quoi faire rêver. Avec une croissance supérieure à celle du commerce mondial, il est normal que tous les pays cherchent à s’ouvrir au tourisme. Même la Corée du Nord s’y est mise ! Développer le tourisme est-il pour autant l’assurance d’une économie florissante ?

Le tourisme mondial se porte bien. Ce n’est pas l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) qui dira le contraire. En avance de deux ans sur ses prédictions en matière de flux touristiques, le secteur compte ne pas en rester là. « Les tendances sont croissantes, de 3 à 4% par an jusqu’en 2030 » précise Eudes Girard, co-auteur du livre Du voyage rêvé au tourisme de masse (CNRS Editions, 2018). A ce rythme, les embouteillages aériens devraient devenir monnaie courante, mais qu’importe puisque l’économie mondiale s’en trouve stimulée. Pourtant, des questions demeurent. Tous les pays bénéficient-ils de manière égale de ce boom économique et surtout, à l’intérieur de chaque pays, zone ou région touristique, les bénéfices sont-ils véritablement partagés ?

Le tourisme, la bonne affaire

L’OMT est l’organisation des Nations Unies en charge de la promotion d’un tourisme durable, responsable, accessible et facteur de croissance économique pour les pays. Née dans les années 70 sur les bases de son ancêtre l’Union internationale des organismes officiels du tourisme qui œuvre dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale, l’OMT en reprend les fondements. Le tourisme serait vecteur de paix internationale, c’est pourquoi l’OMT veille à ce tous les pays membres aient leur part du gâteau.

Pour l’OMT, « dans de nombreux pays en développement, le tourisme est l’option de développement économique durable la plus fiable et la principale source d’épargne en devises étrangères. » C’est que le secteur a de sérieux atouts ! En attirant les regards sur un pays ou une région, il permet la valorisation de son patrimoine naturel ou culturel. Il stimule l’emploi (l’OMT estime même que les activités touristiques sont favorables à l’emploi des femmes, des jeunes et des populations marginales), il participe aussi au développement des infrastructures. Invités dans la revue Proparco de l’Agence Française du Développement, Agnès Weil et Grégory Lanter du Club Med expliquent qu’en installant ses villages dans des sites de choix dès les années 50, le Club a certes pu bénéficier de sites remarquables, mais les zones concernées ont ainsi connu un aménagement accéléré du territoire. Enfin, le tourisme vient renforcer d’autres secteurs d’activité comme l’artisanat, la restauration ou le bâtiment. On parle d’effet multiplicateur pour qualifier toutes ces externalités positives. Le genre de concept qui met des étoiles dans les yeux.

Quand le rêve vire au cauchemar

Cependant, dans le monde merveilleux du tourisme, le soleil n’est pas toujours au beau fixe. Le tourisme est très sensible aux événements politiques ou environnementaux, et les premiers à pâtir de notre désamour pour une destination sont les populations les plus précaires car, selon l’OMT, ils « ne disposent ni des assurances ni de la sécurité sociale » pour faire face à de telles variations d’activité. Pour Eudes Girard, « le tourisme aide les pays en développement en réduisant les écarts avec les pays développés. Cependant, il accroît les inégalités intérieures avec des élites et des populations éduquées qui captent la plupart des bénéfices du tourisme. » Le tourisme n’est donc pas la promesse d’un avenir meilleur pour tous.  

L’autre point noir, c’est que la visite d’une région par des promeneurs en goguette ne se traduit pas nécessairement par des retombées économiques directes pour ledit territoire. Les raisons en sont simples. D’une part, le plus gros des capitaux peut être capté par les grands groupes internationaux (compagnies aériennes, hôteliers ou voyagistes), on parle alors de « fuites financières », soit le fait que le tourisme ne contribue pas directement à la création de valeur localement. Pour la Banque Mondiale, 55% des recettes perçues par les pays en voie de développement seraient détournées vers l’extérieur. Ces fuites sont également le fait d’importations, destinées entre autres, à l’activité touristique ! Il ne faudrait pas que le touriste international soit déstabilisé de ne pas trouver en rayon ses produits préférés.

55% des recettes touristiques perçues par les pays en voie de développement seraient détournées vers l’extérieur.

Louis Dupont, professeur d’économie à l’Université Georges Washington, a étudié les liens entre tourisme et développement économique sur l’île caribéenne d’Anguilla. Son travail lui a permis de qualifier les différents types de fuites financières : importation de matériaux destinés à la construction, importation des biens de consommation, dépense en marketing pour promouvoir la destination à l’étranger et enfin, amortissement de la dette extérieure contractée lors de la construction des infrastructures touristiques. Tout cela lui permet d’affirmer : « en dépit de l’importance des flux financiers qui traversent ce territoire (Anguilla), la part des revenus qui contribue véritablement au développement de cette île est considérée comme insuffisante ». Diantre.

Dernier revers de la médaille pour les pays en voie de développement accueillant des vacanciers, la pression exercée par le tourisme sur les autres activités économiques. Prenons l’exemple de l’agriculture, activité également gourmande en eau et en main-d’œuvre. Plus d’eau dans les piscines des centres de vacances, c’est moins d’eau pour les cultures et le bétail. Ajoutons à cela, plus de personnels dans les sites touristiques et donc moins de force vive dans les champs, on obtient ainsi une région qui doit augmenter ses importations de denrées, accroissant de fait sa perte d’autonomie alimentaire et sa dépendance à l’activité touristique pour continuer à manger. CQFD.

Deux poids, deux mesures

Soyons néanmoins rassurés. Peu de pays dépendent du tourisme pour leur survie économique. En se penchant sur les données de la Banque Mondiale, on prend conscience que dans certains états, le poids du tourisme est massif. C’est le cas des Maldives (50,4% du PIB). « En France, première destination touristique mondiale, nous sommes à 7% du PIB, tout comme en Tunisie. » détaille Eudes Girard. Plus que les pays en voie de développement, ce sont donc les îles qui sont le plus soumises aux aléas touristiques. Pour autant cela n’est pas nécessairement une catastrophe.

Pour Louis Dupont, Eudes Girard ou l’OMT, tourisme et économie prospère peuvent aller de pair. Une condition est nécessaire néanmoins : que le développement touristique soit pensé de manière inclusive et durable, c’est-à-dire qu’il prenne en compte et intègre les populations locales et les réalités du territoire. Pour cela, il doit également être encadré par des politiques publiques assurant la préservation des enjeux sociaux, économiques et environnementaux des zones visitées. Le tourisme n’est donc pas une condition suffisante à la bonne santé économique (et environnementale !) d’une région. Il peut cependant y contribuer. Pour cela, le touriste averti peut aider.

On privilégie les zones où le ratio touriste/habitant est « durable ».

Pour l’OMT, ce taux se situe à 1 touriste pour 1 habitant. Au-delà, la pression exercée par l’activité touristique est trop importante, sur les autres activités économiques, mais aussi sur les populations locales. Pensons par exemple, un instant à l'Islande qui reçoit 6X plus de touristes que le pays ne compte d'habitants. En Croatie ou aux Seychelles, on est à 3 touristes pour 1 habitant. 

On approfondit la question des dérives du tourisme de masse

avec l’ouvrage Du voyage rêvé au tourisme de masse, Eudes Girard et Thomas Daum, CNRS Edition, 2018. Il est disponible en ligne ici et sans doute dans votre librairie préférée.

En vadrouille : 
On évite de se rendre dans les grandes chaînes internationales.

Cela vaut pour le logement, la restauration, l’achat des souvenirs ou ceux du quotidien. Certes, cela est pratique et rassurant, mais goûter à des spécialités locales ou faire le marché pour le prochain pique-nique donnent tout de suite une autre saveur au voyage !

On garde en tête la réalité du territoire.

Eudes Girard l’explique ainsi : « il faut faire attention à la zone dans laquelle on part. Rien que sur le pourtour Méditerranéen, certaines zones connaissent un fort stress hydrique. Or, nos pratiques touristiques l’exacerbent. On peut consommer, en tant que touriste jusqu’à 10X plus d’eau qu’un autochtone ! » Par exemple, sur une île qui importe son eau douce, on peut peut-être se passer d’un hôtel avec piscine et privilégier la mer, non ?

Mathilde Frézouls
Illustrations : Chico Dodi FC
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