La santé, un enjeu mondial interconnecté La santé : un bien commun? Si la santé désigne a priori un état individuel, nous avons vu qu'elle était indissociable de nos interactions humaines : on se transmet certaines maladies tout autant que l'on s'en protège collectivement. En retour, l'état de santé physique et psychologique collectif d'une population a un impact sur la santé économique et sociale d'un pays. La santé en tant qu'état n'est ni tout à fait privée, ni tout à fait publique, ni tout à fait individuelle, ni tout à fait collective. La santé peut donc être envisagée comme un commun immatériel qui requiert… Pour que le droit à la santé soit respecté, il faut que les services de santé, les biens et les infrastructures soient de qualité et accessibles à tous sans discrimination. C'est loin d'être le cas au moins pour cinq raisons : Mais dans les faits, c'est plus compliqué : Déjà, c'est quoi un bien commun? Un bien commun implique un mode de gestion spécifique Les disparités entre pays : Nous l'avons vu dans l'épisode 2 de notre série d'infographies : les systèmes de santé, l'accès aux soins, aux médicaments et aux vaccins ne sont pas assurés pour une grande partie de la population mondiale. La barrière du prix : Produits par des entreprises privées, les produits thérapeutiques sont des biens marchands vendus aux plus offrants, donc inabordables pour certains pays et publics. L'accentuation du chacun pour soi : La crise sanitaire de la Covid-19 a engagé une véritable course aux vaccins qui s'est soldée par l'accaparement des doses par les pays riches au détriment des pays plus démunis. L'entrave des brevets : Il existe une forte tension entre le droit à la propriété intellectuelle et le droit à la santé. Si les brevets stimulent la recherche et le développement de médicaments et de vaccins, ils en limitent la production, donc l'accès au plus grand nombre. Les problèmes logistiques : Le conditionnement des produits thérapeutiques n'est pas toujours approprié aux conditions locales de transport, de stockage et d’administration. Avec la crise de la Covid-19, des voix s'élèvent pour ériger la santé en "bien commun" au même titre que l'éducation, l'alimentation, ou encore les ressources naturelles comme les forêts, les ressources halieutiques, etc. Ces biens communs sont indispensables à l'humanité et impliquent d'être protégés et gérés selon des règles spécifiques. La politologue Elinor Ostrom, première femme prix Nobel d'économie en 2009, a démontré que les biens communs pouvaient être gérés efficacement par une communauté d'usagers ou d'intérêt, qui fixe les règles d'usage et les modalités de gouvernance de la ressource concernée. Une autre voie que celles de la privatisation ou de la nationalisation.  La sécurité sanitaire devrait donc passer par l'accès à tous aux équipements et traitements nécessaires à la santé. Les biens communs peuvent donc être considérés comme inappropriables, c’est-à-dire qu'ils ne peuvent être l’objet d’un droit de propriété exclusive, qu'elle soit publique ou privée. Leur accès doit être universel. Avec la pandémie de la Covid-19, il n'aura fallu que quelques mois pour que le virus se propage à l'échelle planétaire mettant nos vies et les économies à l'arrêt. Cette crise met en évidence trois aspects qui illustrent les liens individuels et collectifs qui nous relient à travers les enjeux de santé : Les maladies, sont au cœur de nos échanges : Avec l'évolution des moyens de transport et la multiplication des contacts humains, nous formons désormais une grande chaîne de transmission mondiale, accentuant les risques de propagation de maladies infectieuses et leurs formes les plus graves, les épidémies et les pandémies. La santé est un enjeu lié à tous les autres : "Quand la santé va, tout va". Mais si ce pilier central des sociétés est fragilisé, les répercussions touchent plus largement au développement économique, à la stabilité sociale et à la résilience climatique des pays et de leurs populations. En se protégeant, on protège les autres : S'ils se transmettent des maladies, les humains peuvent aussi se protéger mutuellement. C'est le principe de l'immunité collective. Plus le nombre de personnes vaccinées ou contaminées puis guéries est grand, moins les maladies trouvent d'hôtes pour se propager. C'est ainsi que la plupart des maladies infectieuses s'éteignent. Tous connectés à travers la santé "Chacun chez soi et les microbes et autres virus seront bien gardés" Erreur fatale! À l'heure de la mondialisation, on aurait tort de croire que ce qu'il se passe à l'autre bout du monde ne nous concerne pas.Aujourd'hui, tout circule à l'échelle planétaire, les informations, les marchandises, les humains, mais aussi - on l'a vu avec la pandémie de Covid-19 - les maladies. Alors que les conséquences sanitaires, économiques et sociales de la crise sont liées les unes aux autres et partagées à l'échelle planétaire, la santé ne devrait-elle pas être considérée comme un commun mondial? Face à un enjeu planétaire aussi crucial que la santé, quelle stratégie globale et concertée adopter? L'exemple des poissons Un bien commun...Tout le monde peut pêcher les poissons dans un lac, ils n’appartiennent à personne et sont librement accessibles. Par contre, le poisson que pêche un pêcheur n’est plus disponible pour un autre pêcheur. Ok, mais en quoi la santé est-elle un "commun"? Une idée qui se heurte à la réalité D’un point de vue économique, les bienscommuns sont des ressources matériellesou immatérielles d’accès non exclusif(tout le monde y a accès) et d’usage rival(le bien est disponible en quantité limitée,donc sa consommation par un individuou une entreprise, réduit celle des autres). ? ? ? ? un bien commun? ...qui doit être géré comme un commun : Si tout le monde se met à pêcher trop de poissons, il n'y en aura plus dans le lac. Les pêcheurs et les personnes qui dépendent de cette ressource sont les plus à même et ont tout intérêt à fixer des règles et des quotas de pêche pour en assurer la pérennité. Elinor Ostrom …une gestion en commun… …de considérer les soins de santé comme des "biens communs" : Par exemple, dans le cas des maladies infectieuses et des épidémies, nous avons tous intérêt à les surveiller, à les contenir, à les résoudre, à l'échelle locale et globale, donc à fixer des règles de gestion communes pour prévenir le risque sanitaire. En théorie, le droit à la santé est inscrit dans nombre de textes internationaux ou à portée universelle. Presque tous les États du monde sont signataires d'un traité international qui proclame le droit à la santé. Au niveau international, il a été énoncé pour la première fois dans la Constitution de 1946 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 évoque également la santé comme partie intégrante du droit à un niveau de vie suffisant. Le droit à la santé est reconnu comme un droit de l’Homme par le Pacte international de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. "Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires" Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 – art. 25 "Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre." Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 art. 12 "La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale" Constitution de l’Organisation mondiale de la santé - 1946 Qui doit prendre soin de la santé? On l'a vu, en matière de santé, il existe une perpétuelle tension entre la liberté individuelle et le bien-être collectif. D'une part, mon capital santé m'appartient et je suis libre d'en prendre soin ou non. D'autre part, mon état de santé a un impact sur la société et à ce titre, les injonctions et normes visant à le protéger sont nombreuses (lutte contre la consommation de tabac, d'alcool, de drogues, promotion d'une alimentation saine et d'activités physiques, etc.). Les traités et textes qui fondent le droit à la santé désignent l'État comme principal responsable de la mise en place d'un système de protection qui assure à tous le meilleur état de santé possible. Même avec des moyens limités, l'État doit tout mettre en œuvre pour assurer l'accès aux soins, médicaments et vaccins sans discrimination. Il doit aussi garantir des conditions de vie (eau potable, assainissement, logements décents, etc.) qui protègent les individus. L'individu seul n'a pas la maîtrise totale de sa santé. Son bon état dépend de nombreux facteurs dont il est tributaire, notamment : Le système de santé de son pays : l'accès à des soins, des médicaments et des vaccins efficaces. En fonction des systèmes de santé des États et de leurfinancement public/privé, leur accès universel n'est pas toujours garanti. Les moyens investis dans les systèmes de santé dépendent de la part de PIB que chaque pays peut y consacrer, créant une fracture entre les pays riches et les plus pauvres. Son environnement : l'exposition aux pollutions de toutes sortes, la qualité de son alimentation, l'accès à l'eau potable et l'assainissement, les conditions de logement, de travail, l'éducation à la santé, etc. La nature particulière des biens communs pose la question de leur gestion. Les individus? mais mais Les États? Aux États-Unis le système de santé repose sur les assurances privées dont le coût et la couverture varient, n'offrant pas les mêmes protections à tous les citoyens et excluant les plus pauvres. Par exemple ? ? ? En France le système solidaire de sécurité sociale financé par les citoyens et géré par l’État permet la gratuité et l'accès à tous aux soins.
Une seule solution, la coopération Si la santé est un bien commun, cette ressource appartenant à tous ne peut être confiée à la seule gestion privée, ni à la seule gestion publique. Des institutions hybrides d’un nouveau genre associant les membres de la communauté (producteurs de médicaments, gouvernements, usagers, etc.) pourraient permettre de relever les défis actuels liés à la santé. DNDi ou l’Initiative Médicaments contre les Maladies Négligées : un bon exemple de gestion hybride d'un bien commun. Créée il y a 18 ans et basée à Genève, l’Initiative Médicaments contre les maladies négligées (Drugs for Negleted Diseases Initiative-DNDi en anglais) développe des traitements adaptés pour soigner des maladies délaisséespar les chercheurs, car elles touchent des populations dans des pays à faible revenu ce qui est moins rentable pour les laboratoires pharmaceutiques (on en parle dans notre infographie précédente). Les équipements, le matériel, les médicaments et les vaccins nécessaires au fonctionnement des systèmes de santé – s'ils peuvent être financés et commandés par le secteur public – sont produits par les entreprises privées. Les biens de la santé sont ainsi soumis à une logique marchande. Pour assurer leur rentabilité, certains de ces biens (médicaments et vaccins) sont encadrés par le droit de la propriété intellectuelle. À travers les brevets, il assure aux entreprises un avantage concurrentiel et un retour sur investissement. Ce mécanisme contribue aussi à la vitalité du secteur de la santé et stimule l'innovation. Globalement, le financement de la recherche, des équipements et des infrastructures coûte si cher que les États seuls ne peuvent les financer avec l'argent public. La logique de l'offre et de la demande entrave l'accès des pays les plus démunis à des biens qui sont en priorité réservés au marché occidental et dont le prix est rédhibitoire. L'OMS manque de moyens et d'autorité. Organisation intergouvernementale, l'OMS n'a pas de pouvoir de sanction ou de coercition sur ses États membres. Face à la crise du coronavirus, alors que l'OMS organise la réponse mondiale à l'épidémie à travers le dispositif Covax, l'organisation se heurte au comportement égoïste des États qui ne jouent pas le jeu de la coopération et de la solidarité notamment dans l'approvisionnement de vaccins. mais mais Les organisations de la société civile? La recherche de rentabilité a entraîné la délocalisation de la production de médicaments et matériels essentiels. Cela crée des phénomènes de dépendance et des problèmes d'approvisionnement notamment illustrés par la pénurie de masques (majoritairement fabriqués en Chine) dans les premiers temps de la pandémie de la Covid-19. Les ONGs ne peuvent pas et ne doivent pas remplacer les systèmes de santé dont l'organisation incombe avant tout aux États. Le risque serait au contraire de créer une situation de dépendance et d'affaiblir les systèmes de santé.Toute action de soin humanitaire doit donc être intégrée dans une démarche de santé publique au niveau national. mais Le secteur privé? Les institutions internationales? Avec 194 États membres, l’OMS est l’institution la plus importante en matière de politique et de coordination de la santé mondiale. Ses missions consistent à : Améliorer et promouvoir la santé de tous les peuples. Compiler des principes de politique de santé basés sur la science. Coordonner et diriger l'action sanitaire en cas de crises comme la pandémie de coronavirus que nous traversons. Établir les diverses normes médicales. Façonner le programme mondial de recherche médicale. Des premières conventions sanitaires à la création de l'OMS en 1948, ce sont les épidémies et les guerres qui ont convaincu les grandes puissances de la nécessité de mettre en place des institutions et des politiques internationales de santé publique pour des raisons sanitaires et éthiques mais aussi économiques et sociales.C'est d'ailleurs après les traumatismes de la seconde guerre mondiale, alors que le monde est à reconstruire, que l'ONU et son Organisation mondiale de la santé seront créés.