Moins on est de fous, plus on rit ?
Une vingtaine de pays est déjà concernée. Alors que l'on peut s'interroger sur la capacité de la Terre à supporter une Humanité dont les effectifs ne cessent d'augmenter, ces nations voient les leurs diminuer. Le phénomène touche particulièrement les pays de l'Est, comme la Bulgarie, la Hongrie ou la Pologne, mais il concerne aussi l'Allemagne et le Japon, le grand précurseur de la tendance. Sa décroissance démographique est continue depuis le début des années 2010, et elle est appelée à augmenter puisqu'on prévoit pour cette terre du Soleil Levant la perte de près d'un quart de sa population d'ici 2050. Une perspective bien établie, basée sur un taux de fécondité qui se révèle beaucoup trop loin des 2,1 nécessaires au renouvellement de ses habitants vieillissants.
Schéma sur l'évolution démographique du Japon, source : mission économique de Tokyo
« L'élément principal d'une diminution de la population est qu'elle se traduit d'abord par une baisse du nombre des actifs, donc des personnes susceptibles de créer de la richesse », rappelle Gérard-François Dumont, professeur à Paris IV et directeur de la revue Population & Avenir. Pour y remédier, on peut augmenter l'âge de la retraite et compter sur l'immigration afin de renforcer ses forces vives, comme l'a fait l'Allemagne en accueillant d'ailleurs bon nombre d'Européens venus de Grèce, d'Espagne ou même de France. De quoi préserver pour l'heure son économie, à la différence de la Roumanie qui s'affaiblit en ne comptant que sur ses troupes déclinantes. Mais n'y aurait-il pas aussi des côtés positifs à une population qui décline ? « Je n'en vois pas, tranche le démographe Jacques Véron. Car cela se traduit d'abord par ce vieillissement très rapide, par nature difficile à gérer. »
« Une telle diminution est un drame car elle change toutes les perspectives économiques »
Pour Olivier Delamarche, analyste économique et co-fondateur des Econoclastes, « une telle diminution est un drame car elle change toutes les perspectives économiques qui reposent principalement sur la consommation interne. Or à 75 ans, on ne consomme pas comme à 40. Ayons aussi en tête qu'on comptait jusqu'ici deux actifs pour un dépendant. Que se passera-t-il quand il y en aura moins d'un pour un ? » Comme au Japon, il pourrait alors devenir courant de prendre sa retraite à 80 ans. Arriverait-on à l'éviter en lançant de coûteuses politiques natalistes comme les Russes s'y sont employés un temps avec un certain succès ? « Au-delà des considérations individuelles qui font que l'on ne peut pas contraindre les gens à faire des gosses, aucun pays n'a aujourd'hui les moyens de mener ce type de politique, objecte Olivier Delamarche. Et il faut bien remarquer que presque tous, sauf en Afrique, sont touchés par ce problème de fécondité ».
Le taux de fécondité dans plusieurs pays du monde
Même si chaque situation se révèle différente, et que l'Inde, le Pakistan ou le Bangladesh sont encore dans une phase démographique ascendante, la tendance baissière et vieillissante apparaît en effet quasi-planétaire. Le taux de fécondité d'1,4 du Japon est le même qu'en Allemagne ou en Italie. En Corée du sud, c'est 1,2, comme au Portugal. L'Espagne, la Grèce ou la Pologne sont à 1,3, tandis que la France, longtemps épargnée, est aussi passée sous la barre des 2 dans le dernier rapport de l'INSEE, avec un taux d'1,88. « Il va falloir gérer ce vieillissement de la population au niveau global, et c'est un vrai défi à ne pas sous-estimer », souligne Jacques Véron. Mais comment agir pour y faire face ? « Je ne vois pas trop, répond le professeur. L'évolution est assez inéluctable. On ne déclenche pas un désir de fécondité, et l'immigration ne permet pas d'enrayer le vieillissement, à moins qu'elle soit de plus en plus importante ». Ce qui engendrerait alors de gros coûts, entre autres problèmes, comme l'Allemagne l'a constaté en 2015 avec un afflux massif de réfugiés aussi onéreux que délicat à gérer.
« On ne déclenche pas un désir de fécondité, et l'immigration ne permet pas d'enrayer le vieillissement, à moins qu'elle soit de plus en plus importante »
Face à cette décroissance programmée avec une inertie si pesante qu'elle rendrait toute recherche de solution alternative vaine, certains trouvent toutefois matière à se réjouir, comme Michel Sourrouille, auteur écologiste qui a coordonné Moins nombreux, plus heureux. L'urgence écologique de repenser la démographie un livre collectif paru en 2014. Selon lui, « sur une planète surpeuplée qui a vu sa population tripler depuis ma naissance, il est bien sûr positif de voir des pays où la population baisse ». Plus soucieux de l'épuisement des ressources de la Terre, il ne s'inquiète pas outre mesure des considérations économiques induites pas un vieillissement qui pose la question du financement des retraites : « De toute façon, les comptes seront dans le rouge ! Il faudra seulement ré-envisager les relations entre les générations et l'équilibre entre actifs et inactifs. Mais quand la société est confronté à des difficultés, elle sait prendre des initiatives. Le problème est que le sujet reste aujourd'hui tabou. Personne n'ose parler de diminution de la population ». Qu'elle soit souhaitée ou redoutée d'ailleurs. Cette lame de fond démographique doit pourtant être regardée en face, préalable nécessaire pour imaginer ces nouveaux équilibres que nous imposeront des données macro-économiques complètement chamboulées, et de moins en moins en phase avec les impératifs de la société de consommation. « Il est clair que cette question démographique va imposer un changement complet de modèle, et ce ne sera pas dans cent ans car certains pays sont déjà touchés tandis que les autres le seront d'ici une ou deux décennies, alerte Olivier Delamarche. Mais je n'ai pas l'impression que nos dirigeants pensent à ça ». Comme s'ils ne voyaient pas plus loin que le bout de leur mandat. Alors que faire ? Enlever nos œillères !
- On peut consulter le bilan démographique 2018 de l'INSEE, publié le 15 Janvier 2019.
- On peut écouter les démographes de l'Institut national d'études démographiques (INED) parler de manière simple des enjeux contemporains liés à l'évolution de la population sur cette plateforme.
- On peut dévorer l'ouvrage Moins nombreux, plus heureux un ouvrage écrit à 12 plumes et coordonné par Michel Sourrouille, qui défend leur conviction commune : la réduction démographique est une principales solutions à tous les tracas climatiques.
- Pour lutter contre la baisse de la natalité, on s'inspire du Danemark en incitant les couples à avoir un enfant ! ;) L'agence de voyage Spies Rejser articule avec beaucoup d'humour l'une de ses publicités autour de l'enjeu démographique rencontré par le pays en clamant "Si vous ne le faites pas pour le Danemark, faites-le pour votre mère" dans ce spot datant de 2016
- On développe les bébés robots, comme au Japon, pour inciter la population à en avoir des vrais, en chair et en os !