Noël est-il le bon moment pour faire passer des messages engagés ?
La chaîne de supermarché britannique Iceland a misé gros pour les fêtes de fin d’année. Le géant du surgelé a alloué 500 000 livres à Greenpeace pour produire un clip d’1 minute 30 alertant sur les dangers de l’huile de palme. C’est un dessin animé dans lequel un orang-outan met le bazar dans la chambre d’une petite fille. Cette dernière comprend peu après que ce petit animal a été chassé de sa forêt à cause de la déforestation.
Greenpeace, Rang-Tan : les ravages de l'huile de palme, 2018
Clearcast, agence d’approbation des publicités avant leur diffusion télévisée outre-manche, a posé son veto. Le 9 novembre, le directeur général du groupe Iceland, Richard Walker, a été invité à réagir à ce refus sur le plateau de la BBC : « c’était risqué », reconnaît-il, de délivrer « un message aussi percutant. » Les fêtes de fin d’année sont-elles propices à une communication engagée pour les entreprises ?
Le reste de l’année, les marques s’y adonnent de plus en plus. En jargon marketing, on parle de « branding éthique ». L’entreprise travaille son image de marque en axant sa communication sur des valeurs, plutôt que de vanter les mérites d’un produit. « C’est une force de différenciation. Vous n’avez plus à vous battre uniquement sur le terrain des prix », analyse Edith Keller, P.-D.G. du bureau de stratégie créative Carlin, qui cite Dove. Pour écouler ses savons, la marque filme des mannequins aux morphologies variées, et développe un discours sur l’acceptation de soi et de son corps. Edith Keller évoque aussi Garnier qui s’est mobilisé en faveur du recyclage, mais aussi la griffe de mode Monki, la petite sœur de H&M très populaire auprès des millenials, qui brandit un discours féministe.
Monki, Please yo'self, 2016
Mais à l’approche de Noël, la communication reprend des chemins très codifiés. « À cette période, les communicants ne se demandent pas comment sauver la planète », résume Benjamin Bloch, de Culture Pub. Le maître en la matière s’appelle John Lewis, chaîne de grands magasins britanniques haut de gamme. Depuis une dizaine d’années, « la diffusion de leur clip de Noël marque quasiment l’entrée dans les fêtes », assure Benjamin Bloch. Il ajoute : « Ils ont défini les codes : faire du storytelling, toucher une corde émotionnelle dans le grand public et le ramener à l’univers de l’enfance. » C’est une recette pleine de bons sentiments qui doit faire du bien pour inciter à se laisser envahir par la magie de Noël – comprendre consommer. Leur court-métrage le plus culte est baptisé « The long wait » (la longue attente), diffusé en 2011, et centré autour de l’histoire d’un petit garçon qui attend avec impatience le 25 décembre. Le spectateur pense que c’est pour découvrir ses cadeaux. Mais il se trompe. L’enfant a envie d’offrir un présent à ses parents.
John Lewis & Partners, Christmas ad, 2011
John Lewis & Partners, Christmas ad, 2018
« L’idée de fraternité et de générosité revient le plus souvent à cette saison », reprend Benjamin Bloch. Il cite l’exemple d’un nouveau spot de la banque autrichienne Erste : un film d’animation sur un petit hérisson rejeté par les autres à cause de ses pics. Ses camarades lui offrent des morceaux de polystyrène à poser sur ses pics pour qu’ils puissent l’embrasser sans se faire mal.
Erste Bank, Believe in Christmas, 2018
« Une bonne pub de Noël ne doit pas oublier le contexte social dans lequel elle sera visionnée », nuance Mélanie Roosen, rédactrice en chef du site de l’ADN, spécialiste du décryptage marketing. C’est l’exemple d’Amazon qui mettait en scène, en 2016, un prêtre livrant des genouillères à un imam pour lui permettre de prier confortablement. C’est aussi le cas de la campagne de jouets non-genrés imaginée par Système U en 2015. Alors que le débat autour des questions de genre se crispe souvent en France, cette initiative avait été saluée positivement par le grand public.
Système U, Un Noël sans préjugés, 2016
Quant à la publicité contre l’huile de palme, elle est en passe de devenir un cas d’école pour l’étude de l’effet Streisand (phénomène médiatique au cours duquel la volonté d’empêcher la divulgation d’informations que l'on aimerait garder cachées déclenche le résultat inverse). Son interdiction a suscité une couverture médiatique plus large que si elle avait été diffusée sans encombre à la télévision. Une pétition sur Change.org a même été lancée pour soutenir le film d’animation. Sur Youtube, il a déjà été visionné plus de 5 millions de fois. C’est ce que l’on appelle un buzz.
- On soutient Greenpeace. Sur leur site internet, il est possible de signer les pétitions, notamment celle en lien avec l’huile de palme. Et, si vous le pouvez, vous pouvez aussi faire un don.
- On s’abonne à la chaîne Youtube de Culture Pub. Chaque semaine, on peut retrouver Benjamin Bloch dans son émission « Culture week » pour se tenir informé des dernières tendances en matière de publicité audiovisuelle.
- On révise ses bons vieux classiques, à savoir le best-seller « No logo » de Naomi Klein. Paru en 2000, ce livre décrypte comment les marques font intrusion toujours plus dans notre vie. Cette enquête raconte aussi comment résister. (Actes Sud, 24,60 euros).