Travail : On prend un shot de Sagmeister ?
Après des mois de tractations, de manifestations ou d’interpellations musclées, la Loi Travail a été promulguée pendant l’été 2016. Si ses aménagements du Code du travail ont été décrits comme défavorables aux salariés, elle leur a pourtant offert un joli cadeau : le " droit à la déconnexion ", applicable depuis le 1er janvier 2017. Et il y avait urgence, 37 % des actifs utilisent les outils numériques professionnels en dehors de leur temps de travail selon une étude Eléas de septembre 2016.
Un chiffre qui monte à 78 % chez les seuls cadres d’après une autre étude Ifop menée en juillet 2017. Si le développement des nouveaux outils de communication a débarrassé le travail de nombreuses contraintes physiques, permettant le "home office" ou les réunions en visioconférence, il aura aussi largement effacé les frontières entre vie professionnelle et vie privée.
Désormais capable de transbahuter son bureau avec lui 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dans un sac ou dans sa poche, le salarié aurait perdu la possibilité de quitter le bureau, de cesser le travail. Un sacrifice utile ? Pas forcément, à en croire les données d’Expert Market sur la productivité des pays industrialisés en 2017, où les bons élèves sont des pays où le nombre d’heures travaillées est relativement réduit (Luxembourg, Norvège, Danemark), et où les cancres (Mexique, Costa Rica, Russie) se démarquent notamment par la longueur du temps de travail.
Un congé sabbatique d’un an tous les sept ans stimulerait la créativité.
Le designer et typographe autrichien Stefan Sagmeister, connu pour ses pochettes de disque et ses provocations, n’a pas attendu Expert Market ou Myriam El Khomri pour déconnecter : d’après lui, un congé sabbatique d’un an tous les sept ans stimulerait la créativité et, tiens, la productivité. En 2009 et dans les colonnes de Paper Mag, il expliquait son raisonnement à son confrère Steven Heller : "Je me suis rendu compte que je réfléchissais généralement beaucoup mieux pendant les périodes où je n’ai aucune pression. (…) La première fois, j’avais peur de plein de choses : perdre mes clients, être oublié, être obligé de recommencer à zéro. Mais rien de tout ça n’est arrivé, alors… " En 2008, Sagmeister est approché par l’équipe de celui qui n’est alors qu’un jeune sénateur de l’Illinois candidat à la présidence : Barack Obama. " J’étais vraiment désolé de ne pas pouvoir accepter, mais c’était juste avant le début de mon congé sabbatique et je m’étais juré de n’accepter aucune mission, toute alléchante qu’elle soit " explique-t-il en toute décontraction.
Évidemment que l’excentrique Sagmeister, qui se lève à 5 heures du matin pour commencer sa journée avec une grande tasse de café et un cigare, peut difficilement être un exemple à suivre. Mais son principe d’un an de repos tous les sept ans est toutefois assez facilement transposable à une semaine : et si on passait une journée par semaine sans accès à aucune communication professionnelle ? Ce ne serait finalement qu’une application assez modeste des modalités du " droit à la déconnexion" en vertu duquel on ne doit plus perdre sa vie à tenter de la gagner, (sus) pendus à nos téléphones. Le mode avion douze heures par jour, c’est peut-être ça la clé du bonheur.
- On regarde la conférence TED X de Stefan Sagmeister : Le pouvoir du temps libre