ONF : coupes à outrance, forêts en danger !
Les drapeaux des manifestants sont à dominante verte, les pancartes en carton souvent découpées en forme de sapin, et le slogan récurrent aussi simple qu’entêtant : “nous ne sommes pas des usines à bois”. Un an plus tard, les salariés de l’Office National des Forêts (ONF) n’ont pas décoléré.
Mais qu’est-ce que c’est, au juste, l’ONF ?
Établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1964, l’Office National des Forêts est chargé de la production de bois (la partie “usine à bois”, donc), du renouvellement des forêts, de la préservation de la biodiversité et de l’accueil des publics. Aujourd’hui membre du bureau national du Snupfen, syndicat majoritaire parmi les personnels de l’ONF, après en avoir été Secrétaire Général, Philippe Berger est garde forestier depuis 1984. Une vocation : “J’ai grandi en Haute-Savoie et je passais beaucoup de temps en forêt. C’est ce qui m’a mené vers ce métier-là, même si j’avais une vision très “rangers canadien” du garde forestier”. Exerçant en Franche-Comté, Philippe Berger a eu tout loisir de découvrir la variété des missions du garde forestier à l’ONF. Il complète ainsi la définition officielle : “au-delà de l’exploitation de la forêt, qui reste notre activité principale, il y a des fonctions de police, parce que nous sommes en capacité de faire appliquer des textes relevant du code forestier, du code de l’environnement, ou même du Code de la route”. Si la protection de la forêt, assurée par l’ONF, est inscrite dans les textes, c’est que la France a pris conscience assez tôt de l’importance de la forêt. “Il fallait du bois pour la marine, pour les mines, pour faire la guerre ou tout simplement pour se chauffer, replace Berger. Protéger la forêt a permis d’en raisonner son exploitation et en 100 ans, la forêt a doublé de volume en France pour passer de 8 millions d’hectares à la fin du XIXe siècle à 16 millions aujourd’hui”.
La forêt, une gestion en crise
Si les personnels de l’ONF sont en colère, c’est que cette belle tradition française est aujourd’hui sacrifiée sur l’autel de la réduction des déficits publics et du dogme néolibéral qui la justifie. “L’ONF a perdu plus de 30 % de ses effectifs en 30 ans et aujourd’hui, se désole le syndicaliste, on constate simplement qu’on n’est plus en capacité physique d’assurer les missions qui nous sont dévolues par la représentation nationale… Et la direction annonce vouloir supprimer 1 500 emplois supplémentaires (sur environ 9 500, N.D.L.R.) sur les 5 prochaines années ! Nous, on demande de la cohérence : soit on dit “la forêt on s’en fiche” et on la livre à tous les appétits ; soit on dit “on a voté des textes qui semblent importants et il nous faut des femmes et des hommes pour les appliquer sur le terrain”. Face à cette situation, et la surdité toute sélective de l’état face à leurs revendications, les gardes forestiers ont publié le Manifeste de Tronçais, visant à alerter le grand public sur les dangers de l’industrialisation de la forêt. Le Snupfen étant à l’initiative du projet, Philippe Berger explique la démarche : “l’idée du manifeste, c’était d’interpeller les citoyens parce qu’on n’a plus le temps d’attendre une réaction du ministère ou de la direction de l’ONF, avec qui les choses n’avancent pas… Les gens sont attachés à leurs forêts, et on veut qu’ils interpellent leurs élus pour faire bouger les choses”.
Il n’y a pas 36 solutions : vendre plus de bois ou supprimer des emplois.
Le Snupfen et son représentant dénoncent ainsi le discours “subtil et lénifiant” du Grenelle de l’environnement et certaines “aberrations” comme ces centrales qui brûlent du bois pour produire de l’électricité… Comptabilisée ensuite dans les objectifs de 20 % “d’énergie verte” fixés au niveau européen d’ici 2020. “On fait pour la forêt ce qu’on fait pour le pétrole dans les pays étrangers : on puise dans les ressources sans s’inquiéter des conséquences sociales, économiques et environnementales… La puissance de l’argent guide les choix avant les citoyens”. Mais Philippe Berger pointe une espèce de péché originel dans la création de l’ONF lui-même : son fonctionnement doit être financé par la vente de bois. “On savait dès la création que le modèle économique n’était pas viable et en attendant, il n'y a pas 36 solutions : vendre plus de bois ou supprimer des emplois. Du coup, on fait un peu des deux, alors qu’on a des voisins comme les Suisses qui ont assimilé que la gestion forestière a un coût, et qui préfèrent justement voir ça comme un investissement”.
Ce qui se passe à l’ONF n’est finalement pas très original, la réduction de la dépense publique ayant déjà justifié le recul de l’État devant les appétits privés sur la route, le rail, les services postaux ou les infrastructures aéronautiques. Mais pour que les tronçonneuses continuent de tourner en forêt plutôt que rue de Varenne, la forêt doit sortir des souvenirs d’enfance pour (enfin ?) entrer dans le débat public.
- On peut commencer par lire le texte, accessible et éloquent, du Manifeste de Tronçais. Et même le partager !
- On contacte les organisations syndicales ou associations signataires : le Snupfen Solidaires, Les Amis de la Terre, Global Forest Coalition, France Nature Environnement, Action Nature Rewilding France, la Ligue pour la Protection des Oiseaux, Humanité et Biodiversité, Greenpeace, Agir pour l’Environnement, Forêt citoyenne, le Réseau pour les Alternatives Forestières, ou SOS Forêt France. Et on en apprend plus sur les actions organisées et sur ce qui se passe en forêt près de chez soi.
- On regarde le passionnant (et magnifique) film de François-Xavier Drouet, Le Temps des Forêts : sorti le 12 septembre et encore à l’affiche dans plusieurs salles en France.
- On se rapproche de ses élus, qu’ils soient maires, députés, sénateurs, conseillers généraux ou régionaux, pour les interroger sur la question de la forêt.