« Pour le couple, le confinement est un révélateur »

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS DE SINGLY
« Pour le couple, le confinement est un révélateur » sur Qu'est-ce qu'on fait
François de Singly est sociologue, spécialisé dans la famille, le couple et l'adolescence. Il est auteur d'ouvrages de références comme Fortunes et infortunes de la femme mariée (ed. PUF) et Séparée, Vivre l'expérience de la rupture (ed. Armand Colin). Pour notre série « Le Jour d'après », il analyse l'impact du confinement sur le couple, la disparation du quant à soi, l'explosion des violences conjugales et pourquoi la nouvelle visibilité des inégalités ménagères peut être une chance.

Est-ce que le confinement peut être l'occasion de réinventer le couple ?

Non. Les véritables réinventions du couple sont engendrées par les transformations profondes de nos imaginaires amoureux. L'imaginaire amoureux qui prédomine aujourd'hui est très ancien. Il s'est créé en dehors des liens du mariage d'intérêt, d'abord, vers le XII ème siècle, et repose sur l'idée que l'on aime quelqu'un en raison de sa singularité. C'est-à-dire pour l'ensemble de ses qualités mais aussi de ses défauts. Et ça, ça ne va pas changer de sitôt. Ceci dit, le confinement bouscule nos habitudes car il accentue l'une des contradictions profondes du couple moderne.

À savoir ?

Le désir de transparence et l'aversion du contrôle. Une bonne relation est une relation où l'on parle : on parle de soi, mais aussi de tous les aspects de sa vie auxquels son conjoint n'a pas accès, à commencer par le travail, mais aussi les amis propres. Il y a une injonction à être soi-même, en toute transparence. Ce désir est légitime puisque, comme on l'a vu, on aime son conjoint dans son ensemble, donc pour tout ce qu'il est aussi en dehors du couple. On y voit une forme d'authenticité : « je ne te cache rien, je suis moi-même quand je te parle ». Mais ce désir de transparence, s'il est trop fort, peut devenir étouffant : on se rend vulnérable, on a l'impression d'être surveillé et surtout on perd son quant à soi ; ces instants où l'on se retrouve en soi-même. Alors nous faisons le tri, en permanence, entre ce que nous disons et ce que nous ne disons pas - j'exclue-là les relations extra-conjugales et même les flirts, c'est une autre question -. Donc dans la vie normale, chacun y trouve son compte. Or, avec le confinement, la possibilité de surveillance est totale. Et comme le quant à soi disparaît ; il devient plus difficile d'être soi-même, ce qui est pourtant la condition de l'amour.

Forge de Nature Roman de la rose Guillaume de Lorris et jean Meun, 1301-1400 - © Bibliothèque nationale de France

Que faire, alors ?

Il faut alterner les activités en commun et des activés solitaires ; trouver des moments de respiration. C'est important, voire même nécessaire. Et puis, il y a ceux qui ont l'espace pour s'isoler. Et les autres. La situation est encore plus compliquée pour les conjoints avec enfants, car le temps du couple passe toujours après le temps professionnel, généralement intouchable, et le temps parental, qui ne peut pas être comprimé. Et les enfants sont généralement très habiles pour le rallonger au maximum, en éternisant le temps de la lecture avant d'aller se coucher par exemple.

"Or, avec le confinement, la possibilité de surveillance est totale."

En Chine, le nombre de demande de divorces a explosé dès la réouverture des services publics. Doit-on s'attendre au même phénomène en France ?

Sûrement pas. La vie conjugale et l'imaginaire amoureux chinois sont très différents des nôtres. En Chine, les enfants sont souvent gardés par les grands-parents, les parents ont régulièrement la possibilité de dormir seuls dans un logement proche de leur lieu de travail. De telle sorte que les couples passent peu de temps ensemble. Chez nous, la situation est différente. Nous avons l'habitude des compromis et des ajustements. Nous nous connaissons généralement assez bien avant d'habiter ensemble. Si le confinement provoque des divorces et des séparations, le confinement aura agi comme un révélateur ; ce qui n'est pas plus mal au fond !

Après seulement une semaine de confinement, les violences conjugales ont augmenté d'environ 30 % en France d'après le Ministère de l'Intérieur. Comment l'expliquez-vous ?

Les mécanismes de violences conjugales sont aussi de nature psychologique, ce qui n'est pas mon sujet. D'un point de vie sociologique, ils s'expliquent par la domination masculine ; c'est un pouvoir que l'homme exerce sur la femme. En temps normal, elle peut aller au travail ou quitter le domicile pour aller voir des amis, et pendant ce moment-là, elle n'est pas sous le joug de son conjoint.

Pourtant, la surveillance totale de l'autre, rendue possible par le confinement, devrait exclure de fait la violence. Grâce à elle, le conjoint violent ne devrait plus avoir de raisons de se sentir menacé...

Non. Les hommes qui battent leur femme trouveront toujours des prétextes pour battre leur femme, quel que soit le contexte. C'est un regard qu'elle a adressé au boulanger en allant chercher du pain, une cuillère qu'elle a fait tomber pendant le déjeuner, un coup de fil trop long qu'elle a passé à un collègue. En ce moment, les violences conjugales explosent parce que le temps passé en présence de quelqu'un violent explose ; tristement... Et bêtement.

On le lit régulièrement dans les médias, certains psychologues recommandent d'établir une routine, qui permettrait de structurer le quotidien pendant le confinement. Or, c'est connu, la routine est aussi ce qui abîme l'amour et la vie conjugale. Que pensez-vous de cette contradiction ?

C'est un faux problème. La routine est un terme péjoratif qui désigne un rituel devenu pénible, ou insupportable, parce que votre conjoint vous est devenu pénible, ou insupportable. Quand vous aimez quelqu'un, il n'y a pas de routine. La vraie question consisterait plutôt à se demander pourquoi, justement, le rituel (que votre conjoint pratique seul, ou que vous pratiquez à deux) vous est devenu insupportable. Toute la vie conjugale s'articule nécessairement entre des moments ritualisés - ou des habitudes -, parce qu'ils ont une fonction sécurisante, et des instants plus spontanés, parce que certaines personnes se révèlent dans l'improvisation. Le dosage entre les deux est délicat ; il est impossible de le prédéfinir. Parfois, une personne à besoin plus de l'un ou plus de l'autre, en temps normal et lors du confinement. On navigue à vue avec ces choses-là. Je n'ai pas de recommandations particulières à donner. Mais ce qui compte avec le rituel c'est de se donner l'impression de l'avoir inventé. Que vous puissiez vous dire : « Tiens, ça c'est notre truc à nous. »

"Devenues visibles, les tâches domestiques peuvent donc être mieux réparties. Il peut y avoir une prise de conscience et des réajustements."

Est-ce que cette expérience inédite peut avoir un impact positif et durable sur la vie conjugale ?

C'est possible. Dans de nombreux témoignages que j'ai lus, certaines femmes affirment que les inégalités face aux tâches ménagères se sont aggravées. C'est très intéressant, parce que je ne suis pas certain que les hommes en fassent moins par les temps qui courent ; ils en ont en toujours fait moins. Seulement, ce qui change avec le confinement, c'est la visibilité des inégalités. Et cette visibilité rend les inégalités bien plus insupportables. Un exemple. Si une femme a pris l'habitude de passer l'aspirateur pendant que son mari fait son jogging le samedi matin, c'est une inégalité... Mais il y a de grandes chances que cette même femme ne l'accepte plus si elle doit demander à son mari de lever ses pieds pour passer l'aspirateur parce que ce même mari n'a pas pu aller faire son jogging à cause du confinement. Devenues visibles, les tâches domestiques peuvent donc être mieux réparties. Il peut y avoir une prise de conscience et des réajustements.

Qu'imaginez-vous, enfin, au moment du déconfinement ? Est-ce que, pendant une période donnée, un vent de liberté soufflera dans la société ?

On pourrait imaginer un après carême, très festif. Mais le déconfinement ne sera pas total du jour au lendemain. Des voisins qui avaient l'habitude de se voir, tous les jours à 20 heures à leur fenêtre, pour applaudir le personnel soignant risquent de se rencontrer autour d'un verre. Ce qui est déjà pas mal !

  • On se rend sur le site du gouvernement pour signaler un cas de violence conjugale et l’on prend note que les pharmacies sont devenues des refuges pour les femmes battues.
  • On se (re)plonge dans le blog d’Emma, autrice de bédé, qui a popularisé le concept de charge mentale.
  • On réécoute les émissions de Grand bien vous fasse, sur France Inter, consacrées aux conseils pour les couples pendant le confinement.
  • On consulte la rubrique, « Nos vies confinées », sur le site du Monde, où il possible de témoigner et de partager des initiatives.
Propose recueillis par Igor Hansen-Løve
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