Il y aura des millions de morts si l’on attend le dernier moment pour réagir

ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS GEMENNE
Il y aura des millions de morts si l’on attend le dernier moment pour réagir sur Qu'est-ce qu'on fait
Cet éminent chercheur en sciences politiques et membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) travaille depuis plusieurs années sur les liens entre flux migratoires et crise climatique. Il appelle les pays à réagir au plus vite face à la montée du niveau de la mer afin de contenir tout risque de crise humanitaire. Rencontre.

Le rapport du Giec a souligné que 680 millions de personnes vivent dans des zones côtières à faible élévation. Selon un rapport de la Banque mondiale, le changement climatique menace 143 millions de personnes. De nombreuses autres estimations existent. À laquelle se fier pour mesurer l’impact de la hausse du niveau des mers ?

Ces données n’ont aucun sens. Elles sont basées sur le nombre actuel de personnes vivant dans les régions littorales. Mais la démographie va forcément évoluer au fil des prochaines décennies, tout comme la hausse du niveau des mers ne va pas avoir le même impact sur toutes les régions littorales. C’est impossible à prévoir. Enfin, la troisième incertitude relève de la sphère politique. Les gouvernements vont-ils être capables d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le Climat ? Quelles politiques d’adaptation vont être adoptées ? Construire de grandes digues, comme à Venise ? Déplacer des villes, sur le modèle de Jakarta, en Indonésie ? Cette capitale est vouée à disparaître sous les eaux d’ici 2050. Le gouvernement indonésien a annoncé cet été le prochain déménagement de cette ville (d’ici à 2024, pour un coût d’environ 32 milliards de dollars, ndlr).

Les réponses apportées face à ce danger varient donc selon les pays ?

Tout à fait. Les pays du sud ont tendance à privilégier le déplacement de population, à l’instar de Jakarta. Ce sont des décisions lourdes de conséquences et on comprend aisément qu’elles mettent du temps à être appliquées. Les pays du Nord privilégient la construction d’infrastructures de protection, qui sont très coûteuses. En Italie, à Venise, par exemple, une digue est en cours d'édification pour contenir les marées hautes (le projet Mose, ndlr.). Dans tous les cas, j’insiste : plus on s’y prendra à l’avance, plus on va limiter le risque de catastrophe humanitaire. Il y aura des morts si l’on attend le dernier moment pour réagir.

La Convention de Genève ne prévoit aucune disposition relative aux migrations liées aux perturbations environnementales. Faut-il créer un statut de réfugié climatique ?

Je ne pense pas que cela puisse régler quoi que ce soit. Mieux veut développer des protections complémentaires à ce qui existe déjà. C’est la mission de la Plateforme sur les Déplacements liés aux catastrophes naturelles (Platform on Disaster Displacement) qui vise à mieux protéger les personnes déplacées à l’extérieur des frontières de leur pays d’origine à la suite d’une catastrophe naturelle. Il s’agit d’un texte non contraignant, mais qui va dans la bonne direction et qui démontre que, progressivement, des solutions politiques émergent pour prendre en compte ces déplacements de population. Le chemin reste encore long à parcourir pour offrir des réponses à la hauteur des enjeux climatiques et migratoires.

« Dans tous les cas, j’insiste : plus on s’y prendra à l’avance, plus on va limiter le risque de catastrophe humanitaire. Il y aura des morts si l’on attend le dernier moment pour réagir. »

Dans quelle mesure la hausse du niveau des mers va aussi creuser des inégalités au sein d’un même pays comme la France ?

La diversité des paysages français crée des situations plus ou moins complexes à gérer : risque d’érosion et de submersion, présence de côtes sableuses et rocheuses, d’un océan et d’une mer fermée. Ce phénomène est bien sûr exacerbé entre les territoires d’outre-mer et la métropole. Mais des disparités vont aussi se creuser à l’intérieur d’une même zone géographique, selon les classes sociales. Les populations aisées disposeront sûrement de meilleures assurances.

Des assurances ?

Oui, c’est un risque pris très au sérieux par les compagnies d’assurances depuis plusieurs années déjà. Et sans doute encore plus par les compagnies de réassurances (La réassurance consiste à assurer l’assureur. C’est donc une assurance pour les compagnies d'assurances, ndlr). Il y a aussi la « Munich climate insurance initiative », qui est à l’origine un organisme de charité lancé par des groupes d’assurances, des instituts de recherche et des ONG. Ces derniers prennent des initiatives pour réassurer davantage des infrastructures situées en zones côtières à travers le monde. La grosse question c’est, qui va payer les primes d’assurances dans les pays en voie de développement victimes du changement climatique ? Il serait logique que ce soit les pays industrialisés responsables du problème.

On lit l'Atlas de l’anthropocène des chercheurs François Gemenne et Aleksandar Rankovic. Il s’agit d’une cartographie mondiale de la crise écologique en cours. En attendant d’aller vous le procurer en librairie, écoutez cette émission de La grande table des idées sur France culture, consacrée à cet ouvrage.

On s’informe ! De nombreuses données contradictoires circulent au sujet du réchauffement climatique. Pour rester bien informés, il est conseillé de suivre bien sûr TOUS les articles de QQF. Pour les anglophones, nous vous recommandons aussi de vous abonner à la newsletter consacrée au changement climatique du New York Times, ou en les suivant sur Twitter.

On peut consulter le travail de la photoreporter Sandra Mehl sur les premiers réfugiés climatiques des États-Unis, sur l’Isle de Jean Charles, en Louisiane. C’est un reportage à lire en ligne sur Marie Claire mais aussi une vidéo à voir sur Brut.

On signe la pétition « Protégeons nos océans » de Greenpeace et qui appelle à la création d’un réseau mondial des réserves marines pour protéger au moins 30% de la biodiversité des océans.

Propos recueillis par Laurène Daycard
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