Appellations : la guerre du terroir aura-t-elle lieu ?
En France, il existe trois types d’appellations : les AOC, les IGP (Indications Géographiques Protégées) et les Vins de France. Chacune répond à un cahier des charges bien précis. Le top du top ? L’AOC, qui désigne "un produit dont toutes les étapes de production sont réalisées selon un savoir-faire reconnu dans une même aire géographique, qui donne ses caractéristiques au produit. C’est la notion de terroir qui fonde le concept […]", selon l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité). L’AOC incarne institutionnellement la défense du terroir, c’est-à-dire, là se trouve la typicité du produit. Autrement dit, un vin AOC ne se confond pas avec un autre, car ils ne partagent pas le même terroir.
Pour un vin, obtenir une AOC, c’est un peu comme l'attribution de papiers d'identité.
Les appellations, nerf de la guerre ?
Au début du XXe siècle, les viticulteurs de Châteauneuf-du-Pape, dans le Vaucluse, font face à une double crise. Non seulement leur production est faible, mais, en plus, des vins venus d’ailleurs se vendent sous leur nom. C’est pour lutter contre cette concurrence déloyale et protéger le savoir-faire viticole français de chaque région que naissent les premières AOC en 1935. Aujourd’hui, il en existe 366 et elles représentaient près de 60 % du vignoble français en 2015. Tout le monde ne dispose donc pas d’une appellation. Pour cela, il faut passer une série de contrôles validant le respect de règles définies, selon la région. Pour un vin, obtenir une AOC, c’est un peu comme l'attribution de papiers d'identité. Et pour nous, consommateurs, elles servent – autant que possible – de guide au moment de l’achat. Les appellations peuvent donc devenir ce saint Graal, promesse de ventes en France et à l’étranger. Car les AOC "participent à la défense et à la valorisation d’un patrimoine varié sur la scène internationale ", rappelle Marie Guittard, présidente de l’INAO.
Le goût du terroir
En tant qu’amateurs de bonnes choses, nous voyons dans les AOC la garantie d'une dégustation de vin que l’on identifie ou, plutôt, que l’on peut reconnaître en raison de saveurs typiques. Le goût est l’un des critères testés pour intégrer le club des AOC. Obligation pour lui d’être similaire à celui des autres crus de l’appellation. Un vin au goût non-conventionnel a donc toutes les chances d’être recalé à l’entrée. Et là, c’est le drame, car une appellation ouvre des droits, comme celui de pouvoir utiliser sur ses étiquettes le nom de sa région viticole. Ainsi, Catherine et Gilles Vergé, vignerons, producteurs de mâcon n’en sont plus, aux yeux des AOC, parce qu’ils œuvrent pour limiter les intrants de synthèse dans leurs vins. Utilisés pour contrebalancer les aléas liés au climat, les intrants participent aussi à gommer l’expression du terroir censée se trouver dans la bouteille. «"En matière de goût, les vins nature ont plus de personnalité. Bien sûr, ils peuvent avoir des irrégularités liées à un climat plus ou moins pluvieux par exemple, mais ils ont aussi plus de profondeur et, à travers eux, on retrouve l’expression de notre terroir ", défend Damien Bonnet, vigneron à Gaillac (Tarn) au Domaine de Brin. Engagé dans la production nature, il bénéficie aussi de l’AOC Gaillac. S’il affirme qu’elle est un plus, ce qui lui importe avant tout, c’est la manière de faire, dans le respect du terroir : bref, produire un vin avec une identité et une histoire.
Les AOC sont devenues des arguments marketing.
Des AOC dénaturées
"À l’origine, les AOC sont une bonne idée. Sauf qu’on s’est perdu. Elles sont censées défendre un terroir mais, ce faisant, elles labellisent des vins pleins d’artifices qui, en réalité, maquillent ce terroir !", s'emporte Maxime Lemercier, caviste à Metz chez Boire et Manger et distributeur en vins avec la Société des Vins d’Auteurs. Chez lui, les AOC, qu'il juge dénaturées, ne sont plus déterminantes dans le choix des vins qu’il propose à ses clients. Comptent avant tout l’engagement du vigneron dans une production éthique, les rencontres et le goût du vin. Car, si les AOC sont devenues des arguments marketing, elles ne sont plus en rien des gages de qualité. Selon Maxime Lemercier, le rôle des professionnels est essentiel dans ce combat pour le bon goût : "Aujourd’hui, près de 80 % des achats de vin ont lieu en grandes surfaces, où l'on fait face à des goûts standardisés. Plus que les appellations, le véritable enjeu est d’amener les consommateurs à changer leurs habitudes de consommation. On peut faire du très bon vin sans être AOC et lorsqu’un client passe notre porte, peu lui importe l’appellation tant que nous sommes en mesure de lui parler d’un bon vin." Alors, pour la révolution du goût, suivez le guide !