Sommelières, vigneronnes : mauvais genre ?
Si le milieu du vin se féminise, des discriminations spécifiques ainsi qu'une crise de la légitimité et des compétences techniques persistent. Des difficultés auxquelles sont confrontées les femmes exerçant, dans les métiers du vin, des professions associant traditionnellement dans les esprits la production d'une bonne bouteille à "un homme, un vrai ". En octobre 2017, les Inrockuptibles révélaient ainsi un retentissant scandale sexuel dans le milieu du vin : la condamnation à un an de prison avec sursis de Marc Sibard, responsable des Caves Augé (Paris 8e) pour agressions sexuelles multiples auprès de plusieurs collaboratrices. Signe, aussi, que les temps changent et que les langues se délient. Entretien avec Marie-Dominique Bradford, 53 ans, caviste directrice de la box Trois fois vin, cofondatrice de l'association Women Do Wine et auteure de Mon cours d'œnologie (Ed. Dunod).
Les instances qui représentent les femmes sont infimes.
Quel rôle joue l'association Women Do Wine dans la reconnaissance des femmes dans le vin ?
Women Do Wine a été fondée au printemps et compte à ce jour (octobre 2017 N.D.L.R) plus de 250 adhérentes. Il s'agit d'encourager des projets, de créer un réseau de visibilité, d'entraide et d'échanges. Bref, de valoriser les femmes dans le métier. Il faut que la sous-représentation féminine soit, un jour, de l'histoire ancienne. Les instances qui représentent les femmes sont infimes, dans notre milieu, par rapport aux réseaux masculins. Or, ce milieu ne doit plus être intimidant car il y a de la place pour tout le monde. D'ailleurs, cette année, c'est une fille, Latifa Barthe-Saïkouk (château Mont du Puit, Médoc) qui a remporté le trophée du Meilleur jeune vigneron au Wine's Forum - même si cela en fait hurler certains.
Dans les faits, la profession se féminise-t-elle réellement ?
Oui et les femmes bénéficient également d'une meilleure visibilité car on parle de plus en plus d'elles. S'il y a autant d'actrices dans le monde du vin, c'est aussi qu'un tas de nouveaux métiers se sont créés, qui vont bien au-delà de celui de vigneronne.
Ma parole n'avait aucune légitimité.
Sur quels critères portent les discriminations sexistes : les compétences, la légitimité, la transmission ?
Déjà, il faut savoir que ces remarques restent fréquentes. En tant que caviste, j'ai employé au sein de mon entreprise un apprenti, qui était donc un garçon. En entrant dans la boutique, certains clients préféraient systématiquement s'adresser à lui plutôt qu'à moi, comme si ma parole n'avait aucune légitimité. C'est un exemple parmi d'autres. En ce qui concerne la transmission des domaines, beaucoup sont aujourd’hui repris par des femmes. Pendant longtemps, c'était inimaginable, il y avait beaucoup de réticence au sein des familles. Une femme dans le chai, ça risquait, paraît-il, de "faire tourner les vins".
Où en est la profession de sommelière ?
Les sommelières ne représentent pour l'instant que 20 % du corps de métier en France, contre 80 % dans les pays scandinaves. La profession est, hélas, encore moins accueillante que celle de vigneronne. Cette année, c'est pourtant une femme, Julia Scavo, sommelière à Beaulieu-sur-Mer, qui vient de remporter le prestigieux prix Master of Port (qui récompense une dégustation de vins de porto, N.D.L.R.) : une première.