Cheveux : on se coiffe au naturel
" Le canon de beauté, c’était les cheveux lisses et longs. Donc avec mes cheveux crépus et courts, j’étais hors norme ". Aline Tacite, coiffeuse et fondatrice du salon Boucles d’Ébène, commence à se défriser les cheveux à la fin de l’adolescence. " La première fois, c’est super, les cheveux volent au vent." Cependant, très rapidement, son cheveu se casse. Persuadée d’avoir failli dans les soins à leur apporter, elle les laisse pousser et retourne chez sa coiffeuse. Nouvelle chute de cheveux. Après un énième défrisage, elle s’aperçoit que le produit utilisé lui a brûlé le cuir chevelu. C’est un déclic. " J’ai compris que je voulais rentrer dans un moule et ressembler à ma meilleure amie blonde aux cheveux lisses. C’était ridicule. " Une prise de conscience qui coïncide avec son réveil historique et identitaire. Elle remet alors en question le modèle imposé.
" Les canons que l’on propose aux femmes noires ne sont pas produits dans leur groupe d’appartenance"
Décoloniser la chevelure.
" Les canons que l’on propose aux femmes noires ne sont pas produits dans leur groupe d’appartenance", décrypte Juliette Smeralda, enseignante-chercheuse travaillant sur les problématiques identitaires, sociales et culturelles des peuples caribéens afro-descendants et africains. Une référence qui s’impose depuis l’esclavage. "La représentation du corps et du cheveu pour les Noirs s’est dégradée à partir de cette période", précise la chercheuse. " Le fait d’être arrachés à leur tronc culturel et de ne plus avoir accès à leurs accessoires de beauté a détérioré le regard porté sur leurs cheveux, qui demandait un temps qu’on ne leur accordait plus. Leur couleur créait un marquage définitif. Ils ne pouvaient ainsi pas échapper à leur condition et à la lecture que l’on faisait de leur présence. "
À cela, s’ajoute ce qu’elle appelle l’" antipathie de peuple à peuple", citant l’auteur britannique Sir Alan Burns et son Préjugé de race et de couleur : et en particulier le problème des relations entre les blancs et les noirs, publié en 1949. " Pendant les Lumières, l’activité scientifique des savants se concentre sur le corps noir. Ils sont mesurés sous toutes les coutures avec d’abord la craniologie. " Les scientifiques cherchent à comprendre la couleur de leur peau en leur ouvrant le corps ou en décollant le derme. Ce corps meurtri par des traumas explique, selon la sociologue, cette grande difficulté à s’accepter.
La solution reste donc l’altération.
Un cycle qu’Aline Tacite et sa sœur Marina ont souhaité rompre. " Nous avons voulu partager notre histoire et ouvrir un débat avec d’autres femmes concernées pour déconstruire un schéma qui n’allait pas dans le sens de l’épanouissement", se remémore Aline Tacite. Les premiers événements de Boucles d’Ébène, fondé en 2004, se déroulent sous forme de salons. Portées par une volonté de transmission, elles veulent valoriser le cheveu crépu, bouclé, frisé au naturel (dit " nappy ") et par la même occasion les cultures afro-caribéennes. "Il y avait des shows sur la coiffure, des conférences informatives sur l’entretien des cheveux mais aussi des points d’histoire", résume-t-elle.
Aucun CAP coiffure validé par l’Éducation nationale ne prend en compte ce type de chevelure.
Depuis, Aline Tacite juge l’évolution " plutôt positive". " Les femmes se sont emparées de cette spécificité frisée notamment grâce à l’émergence des blogs et des réseaux sociaux. Ils ont permis d’avoir une banque d’images dans laquelle la boucle est vue positivement. " En revanche, si la rue bouge, les institutions restent à la traîne. Aucun CAP coiffure validé par l’Éducation nationale ne prend en compte ce type de chevelure. "On réduit tout au cheveu lisse ", dénonce Aline Tacite. Avant de citer un exemple édifiant : " Le cheveu crépu est vu comme un problème. Dans un livre édité en 2010, il était encore listé dans le chapitre anomalie, comme étant une pathologie génétique ou héréditaire. "