Consommateurs et grands distributeurs, remake du combat entre David et Goliath ?
Un modèle historiquement enraciné
La grande distribution telle qu’on la connaît aujourd’hui voit le jour dans les années 1930 aux États-Unis. Son modèle de distribution de masse, chaînon manquant entre la production de masse et la consommation de masse, est issu du fordisme. Le principe est de jouer sur les volumes, les économies d’échelle, la productivité et la baisse des coûts. En France, le premier supermarché sort de terre en 1958 et l’hypermarché cinq ans plus tard. La grande distribution permet de faire chuter les prix et ainsi assurer l’autonomie alimentaire du pays. Les Français peuvent désormais manger à leur faim, peu de temps après les années de pénurie, mission accomplie.
Ombre au tableau, ce fonctionnement implique une agriculture intensive, qui empoisonne la planète. Depuis 1960, l’utilisation d’engrais minéraux a été multipliée par 10, pendant que la vente de pesticides atteint 35 milliards de dollars par an. Ces pratiques menacent l’ensemble de la biodiversité. L’agriculture est la première source mondiale de pollution de l’eau et en France, elle est responsable de près de 20% des émissions de gaz à effet de serre.
"14 % des consommateurs déclarent fréquenter moins souvent les hypermarchés qu’il y a 3 ans"
En partie responsable de ces dérives, la grande distribution récolte quelques critiques. Philippe Philippe Moati, Professeur d'économie à l'Université Paris-Diderot et co-président de l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo) dévoile les résultats d’une étude « 14 % des consommateurs déclarent fréquenter moins souvent les hypermarchés qu’il y a 3 ans, cela concerne 15 % d’entre nous pour les supermarchés et même 28 % pour les petites surfaces de proximité de la grande distribution ». Pour endiguer le ralentissement de leur fréquentation, les acteurs de la grande distribution cherchent la solution.
L’épandage du manger mieux
Si l’on se détourne des grands distributeurs, c’est parce que nos besoins évoluent et se rapprochent désormais d’une alimentation plus saine pour nous, comme pour la planète. 3 Français sur 4 mangent un produit biologique au moins une fois par mois, et 1 sur 10 tous les jours. Les produits bios fleurissent alors sur les étals et des enseignes comme Biocoop, Naturalia ou La Vie Claire enregistrent un taux de croissance à deux chiffres depuis plusieurs années.
"3 Français sur 4 mangent un produit biologique au moins une fois par mois"
L’engouement pour le bio révèle une certaine part d’égoïsme, la première raison que l’on évoque lorsqu’on explique les raisons de ce mode de consommation est « pour préserver notre santé » à 69 %, puis vient « la qualité des produits » à 58 %, et en troisième place arrive « la préservation de l’environnement » à 56 %. Le « néocapitalisme » engendre une démassification du modèle de consommation, il n’y a plus un consommateur identique, mais une myriade de consommateurs avec des attentes différenciés. Dans ce lot, il y a « les purs et durs » qui ne sont pas intéressés par l’offre bio de la grande distribution, pour eux c’est un non-sens, une supercherie. Il y a aussi des gens qui veulent manger sain et ne sont fondamentalement pas contre les grandes enseignes, ils n’ont pas forcément un Biocoop ou Naturalia près de chez eux, ou ne se sentent pas encore à l’aise dans ce type d’endroit. Le bio de grande surface ouvre des perspectives, démocratise l’accès à ce type de produit, sachant que le principal frein à la consommation de produit biologique est le prix, cité à 84%.
Opportunistes, les enseignes de la grande distribution s’adaptent. Elles suivent la tendance et lancent des marques distributeurs dédiés aux produits issus de l’agriculture biologique. Carrefour lance le bal dès 1997, tandis qu’Auchan et Système U lui emboîtent le pas une dizaine d’années plus tard. Quant au groupe Monoprix-Casino, il rachète carrément Naturalia en 2008. Parfois les acteurs historiques de la distribution préfèrent créer des partenariats et investir dans des structures existantes, c’est le cas d’Intermarché avec les Comptoirs de la Bio. Le summum est de proposer des établissement 100 % bio, comme Leclerc avec ses magasins spécialisés « le marché bio » inaugurés en 2018. Les géants de la grande distribution ont de l’appétit, pour croquer toujours plus de consommateurs, ils décortiquent nos envies et proposent de nouveaux produits. On le constate d’autant plus aujourd’hui avec l’exemple des produits végétariens, pour lesquels ils arborent des gammes dédiées et cherchent ainsi à saisir une nouvelle opportunité marketing. Leurs motivations sont principalement financières, l’offre s’adapte à la demande.
De nouvelles pousses à surveiller
Cependant, le produit bio (vendu en grande distribution) est parfois paradoxal. Lorsqu’il est emballé dans du plastique, qu’il a parcouru la moitié de la surface du globe, ou quand il est cultivé hors-saison. On frôle parfois l’hérésie voire la schizophrénie parce que les normes bio impliquent uniquement des mesures sur les traces de pesticides et sur la quantité d’OGM, rien de plus. La législation concernant l’attribution du label Agriculture Biologique risque même de devenir plus souple que la précédente. Cette norme est spontanément associée dans nos esprits à l’éthique, au respect de l’environnement et des producteurs, or ce n’est pas toujours le cas. Le packaging et le marketing exploite notre imaginaire mais ils trahissent et dénaturent parfois les idéaux associés au monde du bio, entendu comme vertueux pour l’homme et l’environnement. La grande distribution a la fâcheuse tendance de grignoter les revenus des producteurs bios ou conventionnels (avec les négociants, elle capte quatre cinquième du prix final payé par le consommateur). En 2016, 30% des exploitants auraient perçu un revenu inférieur à 350 € par mois selon la MSA et le revenu moyen de la profession se situerait entre 13 000 et 15 000€ par an, la même année. Au sein du dernier salon de l’agriculture, Guillaume Canet a même pris la parole pour alerter sur le nombre de suicides qui touchent la profession (Un jour sur deux, un agriculteur se donne la mort en France).
"Le néologisme consom’acteur n’est jamais aussi vrai que lorsqu’on étudie l’évolution de la grande distribution lors de ces cinquante dernières années"
Pour conserver leurs chères parts de marché, les acteurs de la grande distribution tentent de proposer des produits bios et abordables. Ils amorcent un grand virage vers le manger sain, le respect des producteurs et de la planète. Ils prennent d’ailleurs de grands engagement RSE en ce sens. Même si l’on peut émettre des doutes sur les motivations de ce changement, on peut quand même se réjouir que les bonnes pratiques se répandent. Ce changement de positionnement des géants de la grande distribution illustre le pouvoir que nous avons en tant que consommateur. On a réellement la possibilité de changer les choses. Le néologisme « consom’acteur » n’est jamais aussi vrai que lorsqu’on étudie l’évolution de la grande distribution lors de ces cinquante dernières années. Cependant, nous ne sommes pas candides, il y a encore des progrès à faire ! Philippe Moati confie « 1 personne sur 2 ne croit pas en la capacité des acteurs de la grande distribution d’effectuer la transition alimentaire. 26 % pensent qu’ils sont sincères, mais qu’ils n’y arriveront pas. Seulement 15 % estiment qu’ils sont en mesure de la faire ». Effectivement, il ne faut pas tomber dans le panneau (publicitaire) mais plutôt empêcher les acteurs de la grande distribution de salir et pervertir cet élan collectif vers l’alimentation durable. Ils dévorent une belle part du gâteau, (46 % du secteur biologique en 2017) ne les laissons pas l’empoisonner. Par nos choix, on peut impulser le changement, faire la pluie et le beau temps sur la grande distribution, alors profitons-en !
- On surveille la provenance des produits pour limiter l’empreinte carbone de nos assiettes.
- On se fie à ce calendrier des saisons !
- On renonce au suremballage ! On peut notamment s’intéresser à Plastic Attack, des actions qui consistent à laisser le suremballage plastique à l’intérieur du supermarché ou on peut aussi signer leur pétition ici !
- On s’intéresse aux marques consommateurs, comme par exemple C’est qui le patron ?! qui permettent d’établir un cahier des charges stricte, tant au niveau de la rémunération des producteurs que pour le respect de l’environnement.
- On jette un œil à la plateforme « Pour une autre PAC » qui comme son nom l’indique milite pour une autre Politique Agricole Commune, afin d’amorcer la transition alimentaire.