Hydroponie, pony run run
Depuis quelques temps, tout le monde en ville en parle : élus de la collectivité, associations, start-ups, producteurs, amis ou voisins. Mais qu’est-ce, au juste, l’agriculture urbaine ? Selon la FAO, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, il s’agit de « cultiver des plantes ou d’élever des animaux à l’intérieur et aux alentours de villes ». Potentiellement, cette pratique concerne autant un habitant de Dakar que de Jouy-en-Josas. C’est donc un sujet majeur, d’autant plus qu’elle fait vivre 800 millions de personnes à travers le monde.
Le problème, c’est qu’il n’existe pas de forme unique d’agriculture urbaine. On doit donc en parler au pluriel. Elle change au grès des acteurs impliqués, des territoires investis ou des techniques utilisées. Ainsi, quel est le point commun entre l’association L’Abeille Synthoise qui travaille à la sauvegarde des abeilles dans la ville de Grande-Synthe, les jardins partagés Jamet, installés en pleine terre à Nantes, une ferme verticale utilisant l’hydroponie permettant l’alimentation de plantes en eau et nutriments grâce à un circuit fermé et les fraises de votre jardinière que vous partagez avec vos voisins ? L’agriculture urbaine.
Mais pourquoi tout le monde veut sa part de terre ?
En ville, c’est la nouvelle ruée vers l’or. Tout le monde cherche un lopin de terre où développer son projet. Pour quelles raisons ? Parce que l’agriculture urbaine, ce n’est (presque) que des externalités positives pour les citadins, les villes et plus largement la planète. "Quand on pense agriculture urbaine, on pense à sa fonction alimentaire, mais ce n’est pas que cela. Sont tout aussi importantes sa fonction environnementale, sociale, d’éveil ou de réveil, en permettant par exemple aux urbains de se réapproprier leur alimentation." explique Antoine Lagneau, chargé de projets Agriculture urbaine à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France. C’est que les fonctions remplies par l’agriculture en ville sont nombreuses. Permettons-nous une liste à la Prévert.
"Quand on pense agriculture urbaine, on pense à sa fonction alimentaire, mais ce n’est pas que cela. Sont tout aussi importantes sa fonction environnementale, sociale, d’éveil ou de réveil [...]"
Parce qu’elle préserve des espaces verts, donc non-bâtis, elle est un outil de lutte contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols. En réintégrant de la végétation, elle offre aussi un moyen de résistance aux îlots de chaleur qui rendent l’air des villes si étouffant l’été. D’un point de vue environnemental, elle est une vraie aubaine. Au sein d’agglomérations, l’usage de produits phytosanitaires étant interdit, elle garantit fruits et légumes bio de proximité, rendus disponibles via des circuits courts. Par exemple, au sein de Nantes Métropole, la rénovation du quartier de Doulon-Gohards entend relever le défi. Jean-Claude Lemasson, vice-président de Nantes Métropole en charge de l’agriculture explique : "Doulon-Gohards c’est un quartier qui bénéficie d’une reconversion au monde agricole en partant de l’exploitation de l’une des plus anciennes fermes de la ville. Dans ce quartier, l’enjeu est de mixer agriculture et habitat." A terme, le quartier de 180 hectares devrait comprendre près de 3000 logements et 4 fermes occupant la moitié de la surface au sol. Vous penserez à prendre vos œufs frais avant de rentrer à la maison ?
Outre les paysages et la ville en elle-même, l’agriculture urbaine présente de nombreux avantages pour les citadins. Parce qu’elle fonctionne selon une logique de circuits courts, elle permet l’accès à des aliments riches en nutriments à moindre coût, car sans intermédiaire. Elle est aussi un véritable vivier d’emplois pour tous ceux que l’aventure de la terre tenterait, mais sans quitter la ville. Enfin, et c’est sans doute sa fonction majeure, elle est un vecteur fort de lien social. "La dimension sociale de l’agriculture urbaine est fondamentale. Sa capacité à générer des liens sociaux est intéressante. Il n’y a qu’à regarder les jardins partagés. Un exemple de ville ayant particulièrement bien exploité cette dimension est celui de Grande-Synthe (Nord-Pas-de-Calais)" détaille Antoine Lagneau.
Un système vertueux à préserver
"A Grande-Synthe, on est dans une démarche globale. L’agriculture urbaine est un sujet transverse. Notre volonté est de construire la résilience de la ville à l’échelle du territoire et des individus. Il s’agit pour nous de trouver des réponses aux problèmes actuels de notre ville avec des modes de vie plus durables." précise Jean-Christophe Lipovac, directeur de projet Transition écologique et sociale à la Mairie de Grande-Synthe. La ville est marquée par un seuil de pauvreté touchant 31% de la population, l’objectif est donc de répondre frontalement aux urgences sociales et environnementales. Outre la municipalité, un réseau d’acteurs est mobilisé. Leur investissement a par exemple permis le développement de 7 jardins partagés impliquant 250 familles ou encore le projet "La forêt qui se mange". L’association qui le porte a planté des centaines d’arbres fruitiers d’espèces locales sur 5400 m2 mis à disposition par la ville, dans une logique de permaculture. Un don de son temps pour l’entretien du parc arboricole et une adhésion de 0,50€ par mois donne accès au verger. "Le bénéfice de telles initiatives est double, pour l’environnement et pour l’habitant. On parle de pouvoir d’achat, mais aussi de pouvoir de bien vivre" conclut Jean-Christophe Lipovac.
" A Grande-Synthe, on est dans une démarche globale. [...] Notre volonté est de construire la résilience de la ville à l’échelle du territoire et des individus."
Si la ville de Grande-Synthe a fait le pari du « low-tech » pour maintenir le citoyen au cœur de son programme d’agriculture urbaine, toutes n’ont pas fait ce choix. En Île-de-France, la course à la technologie est engagée. Les projets innovants et techno sont nombreux : ferme verticale à Romainville, culture de champignons, de fraises ou de salades dans des containers à l’aide de LED, … Mais attention ! "Il ne faut pas que l’agriculture urbaine soit trop technophile, car cela exclue de fait d’autres acteurs : les non-experts" alerte Antoine Lagneau. "Viser l’autonomie alimentaire avec ces principes d’agriculture en ville est illusoire, ne serait-ce que parce que les céréales sont à la base de notre alimentation et qu’on ne peut les faire pousser en ville, faute de place. Il faut donc imaginer des modèles mixtes laissant une part de la fonction alimentaire à l’agriculture rurale et en misant en ville sur les autres fonctions." poursuit-il. Par exemple, nourrir la population parisienne demanderait 5 000 hectares, soit 1,5X la superficie de la ville. Autant dire que c’est impossible !
Alors, plutôt que de ranger aux oubliettes l’agriculture urbaine sous prétexte qu’elle ne peut nous nourrir intégralement si on la célébrait pour tout ce qu’elle peut nous apporter, au premier rang de son pouvoir de nous rappeler comment sont produits les aliments qui s’étalent dans les rayons de nos supermarchés ?
Envie d’en savoir plus sur le sujet ?
- On regarde la conférence TED d’Augustin Rosentiehl, architecte et curateur de l’exposition Capital agricole ayant eu lieu fin 2018 au Pavillon de l’Arsenal à Paris. Il y insiste tout particulièrement sur les bienfaits en matière de lien social.
Envie de mettre les mains dans la terre et de le faire savoir ?
Sur ce point, on a une bonne et une mauvaise nouvelle :
La mauvaise est qu’il est impossible de recenser TOUTES les initiatives en cours en France.
La bonne, c’est parce qu’elles sont très nombreuses ! Donc, il y en a nécessairement une près de chez vous.
- On entre en contact avec ses élus locaux en charge de la question si on veut réfléchir à l’avenir de sa commune en la matière. Sur le sujet, les consultations citoyennes sont fréquentes, alors on n’hésite plus à partager ses idées.
- On prend part aux activités d’une association locale investie dans le sujet.
- On lance sa propre initiative, si rien n’existe à proximité : jardin partagé, bourse aux semences, rencontre avec des producteurs locaux, … Les options sont nombreuses !
- On peut aussi, si on dispose d’un lopin de terre ou d’un bout de balcon, se lancer dans la production maison et inviter proches et moins proches à bichonner et partager vos récoltes. Un Guides des Urbiculteurs édité par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’Ile-de-France permet de se lancer pas à pas.
- On participe au 48h de l’agriculture urbaine en tant que bénévole, porteur de projets ou comme simple curieux. L’événement est décliné dans plusieurs villes en France.
Envie d’encourager les producteurs locaux ?
- Pour commencer, on peut en apprendre plus sur les circuits courts grâce à notre superbe infographie.
- On se tourne vers les circuits courts, au marché, dans une AMAP, directement chez le producteur ou en passant par le réseau de la Ruche qui dit Oui !
(Pour ceux qui souhaiteraient la référence musicale du titre, elle est ici).