Le nitrate d’ammonium, un engrais utilisé dans le monde entier

ENGRAIS EXPLOSIFS
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Mardi 4 août 2020, 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium ont généré deux explosions qui ont ravagé la ville de Beyrouth et fait 300 000 sans-abri. Utilisée sous forme d’engrais dans l’agriculture, cette substance est présentée par les multinationales comme « essentielle » pour nourrir la planète. Est-ce vraiment le cas ?

Bien stocké, en petites quantités et dans des endroits aérés, le nitrate d’ammonium n’est pas en soi explosif. Pour qu’il y ait détonation, il doit être mélangé à du fioul, ou soumis à une très forte chaleur (plus de 200 degrés). C’est ce qui s’est produit dans le port de Beyrouth, au Liban : plusieurs milliers de tonnes de ce sel blanc et inodore ont pris feu, générant deux explosions qui ont fait des dégâts sur plusieurs kilomètres à la ronde.

Le port de Beyrouth, le 8 août 2020

L’utilisation du NH4NO3, ou nitrate d’ammonium, est particulièrement répandue : dans l’industrie minière et les carrières, où il sert d’explosif, mais aussi dans l’agriculture en tant qu’engrais. En 2017, la France en importait plus de 330 000 tonnes par an (en plus de 800 000 tonnes de nitrate d’ammonium calcique, mélangé à du carbonate de calcium), ce qui représente 8% de la consommation mondiale. Si 40% des engrais chimiques sont produits dans le pays, la quasi-totalité des matières premières sont importées… par bateau ! On trouve donc des stocks de nitrate d’ammonium dans les principaux ports commerciaux français : Bordeaux, Saint-Nazaire, Saint-Malo…

Un siècle d’accidents

Au lendemain des explosions qui ont ravagé le Liban, les responsables locaux et agricoles de ces régions jouaient la carte de la sécurité : en France, le nitrate d’ammonium est entreposé dans des sites classés Seveso « seuil haut » et toutes les précautions seraient prises pour éviter ce genre de catastrophe. Pourtant, le siècle dernier est émaillé d’accidents qui mettent au jour la dangerosité de cette substance. On compte plusieurs autres explosions dans des zones portuaires (à Texas City et à Brest en 1947, à Tianjin en Chine en 2015), dans des entrepôts (au Texas en 2011) ou dans des gares (à Ryongchon en Corée du Nord en 2004). En France, le souvenir de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse est encore vif : 31 personnes ont perdu la vie et 2 500 autres ont été blessées dans l’explosion d’une réserve en 2001.

Facile à se procurer, le nitrate d’ammonium est également prisé des terroristes pour la réalisation de bombes artisanales : les engins explosifs déposés à Oklahoma City en avril 1995, à Bali en 2002 ou encore à Oslo en 2011 ont tous été réalisés à partir de nitrate d’ammonium. Et dans ce dernier cas, l’homme dirigeait un établissement agricole et avait un accès privilégié aux engrais chimiques. Plusieurs pays ont par la suite encadré les mélanges disponibles sur le marché, le Pakistan ayant complètement interdit son utilisation dès 2009.

Un produit miracle ?

Selon la fiche technique du ministère de l’Agriculture, « le contact prolongé avec les engrais […] ou des poussières d'engrais contenant du nitrate d'ammonium peut entraîner des troubles pour la santé ». Pourtant, le produit est un des piliers de la révolution verte des années 1960 à 1990, et sa découverte a valu le prix Nobel au chimiste allemand Fritz Haber en 1918. Car si les plantes ont besoin d’azote pour se développer, elles ne peuvent pas absorber celui de l’air et le puisent dans les nitrates présents dans la terre. « Les ammonitrates font donc partie des engrais utilisés au printemps, lorsque le climat s’adoucit et que les plantes commencent à pousser. Ils apportent directement aux cultures de quoi se développer, et leurs effets sont très rapides – c’est là leur principal avantage », explique l’agronome Marc Dufumier, professeur honoraire à AgroParisTech.

Le leader mondial de ces engrais chimique est une discrète multinationale norvégienne du nom de Yara. Selon sa publicité, qui vante « une agriculture intelligente pour le climat », il serait impossible de nourrir la planète sans recourir aux fameux engrais de synthèse. Une aberration que dénonce l’ONG Les Amis de la Terre, qui lui a décerné le prix Pinocchio du Greenwashing 2020. « D’un point de vue scientifique, on peut parfaitement se passer d’ammonitrates et ces entreprises le savent !

« La faim dans le monde n’est pas une question de quantité de nourriture produite, mais de pauvreté. »

La faim dans le monde n’est pas une question de quantité de nourriture produite, mais de pauvreté. Il faut compter 200 kg de céréales par an et par habitant pour que toute la population mondiale soit nourrie sans carences. Or, on produit déjà 330 kilos par personne et nos excédents alimentaires sont gaspillés ou envoyés dans d’autres pays pour nourrir des animaux, alors que les locaux n’ont pas accès à cette manne de protéines, le plus souvent végétales. » Même dans les régions arides et pauvres, il est possible « que le rendement augmente plus rapidement que la croissance démographique ». Le secret : planter des légumineuses, qui sont capables d’extraire l’azote de l’air et dont la décomposition des feuilles et racines fertilise le sol sans recours aux engrais azotés. Si la technique n’est pas en cause, la question est alors politique. Selon le Corporate Europe Observatory, Yara aurait dépensé près de 12 millions d’euros en lobbying à Bruxelles de 2010 à 2019 pour s’assurer une législation favorable à ses activités.

Près d'un mois après la catastrophe, on continue de soutenir le peuple libanais en donnant aux associations françaises présentes sur place pour financer l’aide aux victimes, l’acheminement de colis alimentaires et la mise en place de cliniques mobiles : Le Secours Populaire et sa cagnotte Urgence Liban, la Fondation de France, L’Œuvre d’Orient ou encore la Croix Rouge

On donne directement aux ONG libanaises : Caritas Lebanon et la Croix Rouge Liban (les sites sont en anglais).

Des dizaines de Libanais agitent le drapeau du pays sur les lieux de l'explosion qui a tué au moins 150 personnes et fait des milliers de blessés.

On aide l’association Impact Lebanon à rassembler 7,5 milliards sur la plateforme de crowdfunding JustGiving. Leur équipe travaille à réunir une liste d’ONG vers lesquelles répartir cette somme : auditées, apolitiques et non-communautaires, ces associations devront présenter des projets précis pour avoir accès à un financement. La première cagnotte, de 1 million, a été atteinte le soir même de sa mise en ligne.

Pour mieux comprendre la situation géopolitique du pays avant l’explosion, et les conséquences que celle-ci peut avoir sur une société désorganisée, on lit le questions/réponses du journaliste Benjamin Barthes.

On encourage la sortie des engrais azotés en soutenant Les Amis de la Terre et leurs multiples projets dans le domaine de l’agriculture, et on regarde comment s’impliquer.

En achetant des fruits et légumes, mais aussi du lait, du beurre, de la viande et des œufs bio, on privilégie les producteurs qui n’utilisent pas d’engrais de synthèse. Pour s’en sortir financièrement, on regarde du côté des Américains qui ont identifié la « douzaine sale » (dirty dozen) et la « quinzaine propre » (clean fifteen), soit les produits à acheter prioritairement en bio, ou en conventionnel. Et on se remet à jour sur ce que garantissent les logos.

Juliette Démas
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