Les supermarchés affament les pays du sud
C’est l’histoire du cordonnier mal chaussé transposée à une logique de mondialisation déshumanisante. Dans un rapport dévoilé en juin 2018, Oxfam dénonce l’accroissement des inégalités dans la chaîne de production agro-alimentaire. L’ONG a analysé le circuit de production de 12 aliments courants, tels que le café, les crevettes, le cacao ou encore la tomate. Au sommet de la pyramide, les profits enflent. Mais tout en bas, paysans et travailleurs sont toujours plus exploités… et souffrent parfois de faim. « Nous avons très peu d’argent. Nous sommes contraints de moins manger pour être en mesure de payer les frais de scolarité de nos enfants », relate une Costaricaine, dont l’époux travaille pour un sous-traitant de Lidl. Il y a aussi le témoignage de Budi, ouvrière dans la transformation de crevettes en Indonésie qui raconte avoir été forcée de décortiquer jusqu’à 950 crevettes par heure, en restant debout toute la journée. Pour maintenir la cadence, elle limitait ses pauses repas et évitait au maximum d’aller aux toilettes.
« Les femmes et les hommes qui nous nourrissent n’arrivent pas à le faire pour eux-mêmes. »
« La majorité des paysans et travailleurs sur les chaînes d’approvisionnement dans l’agro-alimentaire ne sont pas rémunérés à un salaire vital, dénonce Pauline Leclère, responsable de campagne Justice fiscale et inégalités pour Oxfam. Les femmes et les hommes qui nous nourrissent n’arrivent pas à le faire pour eux-mêmes. » Ce cruel paradoxe s’est aggravé au cours des 30 dernières années, au fur et à mesure que les conglomérats de l’agro-alimentaire ont gagné en puissance. « Cette emprise sur les marchés au détail donne à la grande distribution une très grande puissance pour façonner la production alimentaire dans le monde entier », développe l’étude. Résultat : les supermarchés et leurs intermédiaires captent 4/5 de ce que l’on paye en caisse. Seulement 6,5% du prix d’achat revient aux travailleurs, selon l’enquête d’Oxfam.
Photo : Gemunu Amarasinghe/AP
« Sur un kilo de crevettes provenant du Vietnam puis vendues en France en 2015 à 15,68 euros, seulement 48 centimes ont été reversés à l’ouvrier vietnamien », calcule l’ONG.
« Il leur faudrait 64 années de travail pour espérer percevoir ce que reçoit en une journée le P.-D.G. de Carrefour »
Prenons l’exemple de Carrefour, l’un des leaders mondiaux du secteur, présent dans 34 pays. En 2016, le géant français a généré 894 millions de bénéfices et reversé quelque 510 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires. Malgré cela, les Indiennes cueillant du thé pour cette multinationale touchent tellement peu qu’il leur faudrait 64 années de travail pour espérer percevoir ce que reçoit en une journée le P.-D.G. de Carrefour. Cela vous coupe l’appétit ? L’ONG souligne les nombreux dangers de cette politique du moindre coût : impact sur la santé des travailleurs, risques de malnutrition, harcèlement sexuel pour les femmes mais aussi de travail des enfants.
« Les entreprises doivent mieux répartir leurs bénéfices pour allouer à tous, y compris les sous-traitants, un revenu décent »
Pour lutter contre cette logique du profit à tout prix, doit-on boycotter ces enseignes? Chez Qqf, nous valorisons l’achat responsable, dans les réseaux Amap, Biocoop ou auprès des producteurs locaux. Pour autant, la responsabilité de cette régulation ne peut reposer sur les épaules du consommateur. Les entreprises doivent mieux répartir leurs bénéfices pour allouer à tous, y compris les sous-traitants, un revenu décent. À l’image de la théorie du colibri, cela se joue à quelques centimes près. Pauline Leclère, porte-parole d’Oxfam, reprend : « Il suffirait de reventiler seulement 13 centimes du prix de vente du kilo de crevettes produites au Vietnam – soit moins de 1% du prix payé à la caisse de nos supermarchés - pour garantir un salaire décent aux travailleurs vietnamiens en bout de chaîne de production ». Si l’autorégulation ne se fait pas spontanément, les États doivent légiférer. Oxfam appelle le gouvernement français à prendre des mesures pour limiter les écarts de salaires démesurés dans une même entreprise. L’ONG demande aussi à Paris de soutenir le traité onusien obligeant les entreprises à reconnaître qu’elles ont une responsabilité légale en matière de droits humains.
- Bien évidemment, si on a le temps, on lit le rapport d'Oxfam Derrière le code-barre
- On lit le livre 100 jours sans supermarché de Mathilde Golla, journaliste au Figaro, qui s’est lancée le défi de ne plus aller dans un supermarché pendant... 100 jours ! Elle nous y raconte son expérience et prodigue un certain nombre de conseils utiles pour se lancer dans l'aventure.
- On lit « L’empire de l’or rouge » de Jean-Baptiste Malet (éditions Fayard) : c’est une enquête à l’échelle mondiale sur le juteux business de la tomate d’industrie. Le livre a été couronné du prix Albert Londres en 2018.
- On soutient Oxfam. Pour faire un don, il suffit de se rendre sur cette page.
- On peut comparer les salaires annuels nets par personne grâce à cette carte de la Banque mondiale !