« Nous étions en crise bien avant le virus »
Est-ce que la crise économique engendrée par le confinement mondial peut-être une chance pour faire de la finance autrement ?
Il y a des raisons d'être optimiste. J'ai remarqué, dans le discours des citoyens et au sein de la doxa médiatique, un changement de mentalité significatif ; ou plutôt, une prise de conscience. La crise provoquée par le Covid-19 a révélé certains dysfonctionnements fondamentaux, sur le plan social et économique. La France n'a pas été en capacité de produire suffisamment de masques, parce que notre industrie textile a été en grande partie délocalisée. Nos hôpitaux ont été submergés par les admissions en réanimation, parce que la santé a été négligée par les pouvoirs publics. L'entre-aide européenne n'a pas été au rendez-vous, parce qu'elle n'a pas été construite sur des principes de solidarité - on aurait pu imaginer, par exemple, que les pays de l'Union mutualisent leurs efforts pour la fabrication de masques ou de respirateurs ; ça n'a pas été le cas -. Donc, en réalité, nous étions déjà en crise bien avant l'apparition du virus.
« En réalité, nous étions déjà en crise bien avant l'apparition du virus. »
Eclairés, les citoyens vont exiger des changements ; à savoir une finance plus saine, en phase avec l'économie réelle et l'intérêt général.
Certains acteurs économiques puissants restent rétifs au changement.
Absolument. On a vu le MEDEF souhaiter profiter de la crise pour repousser la mise aux normes écologique des entreprises qu'il représente. Pire encore, on a vu la commission européenne choisir Blackrock, le premier gestionnaire d'actifs au monde, pour définir les règles environnementales du secteur financier ; chacun sait, pourtant, que cette entreprise est encore inextricablement liée à la production de l'énergie fossile et qu'il y a là une incompatibilité fondamentale entre leurs intérêts et leur nouvelle mission. Les obstacles sont encore nombreux. Mais, malgré mes critiques, je reste optimiste car, enfin les choses évoluent. Nous ne sommes plus apathiques ; nous revendiquons. Ce qui se passe actuellement aura des répercussions sur les prochaines élections présidentielles.
« Ce qui se passe actuellement aura des répercussions sur les prochaines élections présidentielles. »
La réponse politique française est-elle à la hauteur des enjeux ?
Dans ses récentes allocutions télévisées, pendant le confinement, le Président a changé de discours. Je l'ai entendu parler d'économie frugale et de sobriété carbone. Je l'ai entendu dire qu'il ne fallait plus laisser nos filières industrielles soumises à la simple loi du marché ; ce qui n'est pas rien ! Ce sont autant d'idées et de valeurs pour lesquelles je me bats quotidiennement, donc je me suis réjouie, oui. Seulement, il y a les paroles. Mais il y a aussi les actes. Aujourd'hui, la réaction gouvernementale est loin d'être à la hauteur de ces beaux discours. Actuellement, toutes les réponses politiques qui visent à relancer l'économie s'inscrivent dans une logique à court terme. Et si on en reste là, tout recommencera comme avant.
« Actuellement, toutes les réponses politiques qui visent à relancer l'économie s'inscrivent dans une logique à court terme. Et si on en reste là, tout recommencera comme avant. »
Combien de temps va durer cette crise ?
Si nous prenons les bonnes décisions, en réinvestissant dans les filières locales et les secteurs de l'économie solidaire, qui sont par nature bien plus résilients que les autres, alors cette crise peut être de courte durée. On est en droit de l'espérer. Pour ma part, je suis mobilisée pour ce changement. Par contre, j'ai bien peur qu'une sélection naturelle économique s'opère, balayant les entreprises les plus fragiles au profit des groupes dominants. Il faudra éviter ce scénario à tout prix.
« J'ai bien peur qu'une sélection naturelle économique s'opère, balayant les entreprises les plus fragiles au profit des groupes dominants. »
En quoi cette crise sera-t-elle différente de celle de 2007 ?
En 2007, la crise était d'origine financière. Celle-ci est d'origine sanitaire. Même si, elle a des effets sur l'économie et la finance. Mais en 2007, la plupart des gens et des acteurs du monde économique n'ont rien compris à ce qu'il se passait parce que la crise n'avait pas de réalité tangible ; c'est le propre de la finance. Aujourd'hui, il y a les morts, la situation désastreuse dans les hôpitaux, le confinement...
Aux Etats-Unis, en 2007, des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi, leur logement et leur assurance santé, du jour au lendemain ; la réalité de la crise était palpable.
Certes. Mais elle a touché les plus précaires, dans l'indifférence des pouvoirs publics. D'ailleurs en 2007, les Etats sont venus au secours des banques, pas des gens. La crise du Covid-19 est différente parce qu'elle touche toutes les classes sociales, et le monde entier. Et donc les politiques sont obligés de réagir. La preuve, pour l'instant, ils ont choisi de sauver des vies au détriment de l'économie. Une fois encore, ce n'était pas le cas en 2007.
« Pour l'instant, ils ont choisi de sauver des vies au détriment de l'économie. Une fois encore, ce n'était pas le cas en 2007. »
En quoi est-ce que la situation actuelle peut être une chance pour une entreprise comme la vôtre ?
Lita est une plateforme web permettant aux particuliers de financer des entreprises, que nous avons sélectionnées, parce que leur projet est en phase avec l'économie réelle, créant des emplois, et ayant un impact social et économique important ; pour la construction de logements sociaux, pour l'insertion de personnes en situation d'handicap, pour les énergies renouvelables, pour la promotion de valeurs inclusives... La rentabilité des investissements, oscille entre 2 et 6 %, environ, et donne le droit à des réductions d'impôts. De tout temps, et particulièrement lors des crises, il vaut mieux investir dans l'économie réelle et des valeurs tangibles. Nous sommes d'ailleurs en phase avec une demande citoyenne. Depuis le début de la crise, le trafic et les investissements ont explosé sur la plateforme.
« De tout temps, et particulièrement lors des crises, il vaut mieux investir dans l'économie réelle et des valeurs tangibles. »
Quelle est l'enquête que vous effectuez pour sélectionner les entreprises que vous souhaitez voir financées ?
C'est un long processus, géré par nos analystes financiers et nos analystes d'impact. Dès la réception du dossier des business plans, nous effectuons une due diligence, c'est-à-dire une espèce d'audit, que nous soumettons ensuite à un comité indépendant. Seulement 1% des entreprises qui nous envoient leur dossier vont se retrouver, in fine, sur notre plateforme. Ensuite, on exige au sein des entreprises, un écart limité des rémunérations, une bonne répartition des pouvoirs, une représentation salariale forte, une empreinte écologique positive...
Vous considérez-vous comme une entreprise de gauche ?
C'est une question difficile. Pour ma part, je crois encore au clivage droite-gauche et je pense que l'Etat providence devrait être partie-prenante dans l'économie alternative que je défends. Alors d'un côté non, nous sommes une entreprise s'inscrivant dans une économie libérale. Mais d'un autre côté, nous portons des valeurs de gauche ; l'inclusion, l'équité, la tolérance. Nous participons par exemple, au financement du journal Têtu, un média phare de l'émergence de l'identité gay en France depuis 25 ans, engagé pour la diversité et l'inclusion de l'ensemble de la communauté LGBT +.
Vous ne pourriez pas travailler avec Valeurs Actuelles.
Non. Ça irait à l'encontre de tout ce que nous défendons.
Si vous croyez encore au clivage gauche-droite, notre gouvernement est-il de gauche ou de droite ?
De droite ! Economiquement, en tout cas, notre gouvernement est néo-libéral, parce qu'il croit encore à la loi du marché, au pouvoir des entreprises, et qu'il s'inscrit contre une juste répartition des salaires et l'interventionnisme dans l'économie. Mais en face les mentalités évoluent.
Certes. Mais quand Blackrock remporte la mission de la commission européenne pour la réglementation de la finance durable, vous ne vous sentez pas découragée ?
Si, bien sûr. Ça donne envie de tout casser. Je ne peux pas le nier.
Pensez-vous que la lutte pour l'environnement et la solidarité est vouée à se radicaliser ?
Oui. Ils sont déjà radicaux, eux, dans leurs rapports de force politique et économique. Ils sont très violents.
Vous pensez à quelles actions radicales, concrètement ?
Tout faire pour que le modèle qu'ils défendent ne soit plus le modèle dominant : la pénalisation de la non-conformité, la taxation des transactions financières et plus de courage politique.
Et si les politiques ne font rien ?
Nous irons le faire à leur place.
- On consulte le site de la plateforme Lita, permettant de financer des entreprises durables, écologiques et solidaires, en phase avec l'économie réelle.
- On consulte le site pédagogique, enssemble.org, qui permet de comprendre le fonctionnement de l'économie sociale et solidaire.
- On interpelle le MEDEF, sur Twitter, au sujet de sa demande de moratoire sur les mesures environnementales.
- On (re)regarde l'excellente enquête Ces financiers qui dirigent le monde réalisée par Tom Ockers pour Arte sur Blackrock, le plus puissant gestionnaire d'actifs de la planète, qui vient de remporter la mission de la commission européenne pour établir les règles de la finance durable.